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révélation chrétienne contre le scepticisme de Hobbes et contre le déisme, qui commençait à se faire aussi des partisans, ne protégèrent pas suffisamment les platoniciens de Cambridge contre les partis dévots qui les accusaient « d’infidélité » à la vérité révélée dans la Bible. Leurs adhérens furent désignés sous le nom de latitudinaires, nom très pédantesque, mais au fond assez juste, en ce sens que leur tendance commune consistait à élargir le plus possible l’église et la notion du christianisme. C’est là une hérésie qu’en aucun temps, en aucun pays, les esprits rétrécis par la passion du rite ou l’idolâtrie du dogme n’ont jamais pu supporter dans leur voisinage. Soupçonnés par les puritains de connivence avec les prélatistes, les latitude-men ne furent pas mieux vus des partisans de la haute église triomphante avec les Stuarts restaurés. Ils furent mis à l’index, interdits ou suspendus comme prédicateurs ou professeurs. Cependant leur action ne cessa de se faire valoir pendant la période qui va du retour de Charles II à la révolution de 1688, et ils purent compter parmi leurs chefs de file des hommes tels que Burnet, le célèbre prédicateur Tillotson, Whiston et Spencer. L’avènement de Guillaume III, si favorable aux idées de tolérance et de liberté religieuse, fut leur salut. L’Angleterre, échappée comme par miracle aux menées ultramontaines de Jacques II, se retrouva protestante sans tomber dans le puritanisme ; elle resta épiscopale, mais à l’abri de la tyrannie sacerdotale. Il se forma pendant le XVIIIe siècle une moyenne d’opinion religieuse dont le trait principal était l’indifférence pour les controverses qui avaient passionné les deux siècles précédens, et le maintien de l’organisme ecclésiastique.

Il est à noter en effet que cette influence des idées latitudinaires ne poussait pas à modifier les institutions elles-mêmes. Les latitudinaires reconnaissaient dans l’épiscopat une forme ecclésiastique, non pas ordonnée de Dieu comme le voulaient les prélatistes, mais vénérable par son antiquité, avantageuse au bon ordre dans l’église, plus apte que toute autre à lui imprimer une direction éclairée et prudente. Ils n’attribuaient au rituel aucune vertu surnaturelle ; mais ils pensaient qu’une liturgie moins chargée que celle de Rome, plus riche en symboles que celle de Genève, telle en un mot que la liturgie anglicane, convenait mieux que toute autre à l’édification du peuple chrétien. Ce qu’ils conservaient le moins, c’étaient les vieux dogmes, encore ne les attaquaient-ils pas de front. Ils se flattaient de démontrer que, moyennant quelques adoucissemens au sens rigoureux des formules ; la raison pouvait acquiescer aux thèses principales de l’orthodoxie chrétienne. Un « christianisme raisonnable, » c’était leur idéal et celui de Locke, auteur, comme on sait, d’un ouvrage ainsi intitulé. Par conséquent ils refusaient d’admettre la possibilité d’une contradiction réelle entre les résultats des