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sciences de la nature et les données de la révélation. Sur une pareille pente, il était difficile de s’arrêter, et leur orthodoxie, indulgente à toutes les hérésies, devenait si pâle, si édulcorée, si vaporeuse, qu’elle se volatilisait sous le couvert des formes traditionnelles qu’ils aimaient à maintenir. C’est ce qui anima de bonne heure contre eux notre compatriote Jurieu, qui flairait vite l’hérésie, mais à qui il faut reconnaître le mérite d’avoir bien mieux que son illustre adversaire, Bossuet, pressenti le tour d’esprit que le XVIIIe siècle allait adopter en matière religieuse. En revanche, ou plutôt en confirmation de cette appréciation, nous pouvons ajouter que Voltaire n’eut pour aucune tendance ecclésiastique plus de bon vouloir que pour celle des latitudinaires anglais. Ce n’est pas du tout qu’il la fît sienne dans une mesure quelconque ; mais, si l’on scrute le fond de sa pensée sans s’arrêter plus qu’il ne faut aux saillies de sa verve moqueuse, on trouve que lorsqu’il cherche sérieusement le meilleur système de gouvernement ecclésiastique applicable aux masses, qui ne peuvent se passer d’église ni de direction religieuse, c’est bien l’église des latitudinaires anglais qui a ses sympathies. Un épiscopat instruit, philosophe, grand seigneur, quelque peu sceptique en fait de dogmes et de miracles, peut-être même déiste dans l’intimité, toutefois conservateur en public des vieilles formes, qu’il tempère dans ce qu’elles ont d’intolérant ou de superstitieux, insistant sur la morale beaucoup plus que sur le dogme, voilà ce qui séduit surtout son esprit aristocratique à la fois et révolutionnaire. Voltaire au résumé n’aimait pas plus la démocratie presbytérienne de Genève que l’absolutisme sacerdotal du catholicisme.

Ce qui devait en tout cas lui plaire beaucoup, c’est que ces excellens latitudinaires n’étaient pas hommes à remuer profondément les consciences. Très honnêtes, très dignes ecclésiastiques pour la plupart, on eût dit qu’ils ignoraient les abîmes de dépravation où sombre si souvent la pauvre moralité humaine. Ils manquaient de critique, mais aussi de mysticisme. Leurs doctrines comme leur prédication morale étaient d’un prosaïsme désespérant. Ils ne purent empêcher l’église anglicane de tomber lentement pendant le cours du XVIIIe siècle dans une sorte d’anémie spirituelle qui confinait à la léthargie. La machine ecclésiastique n’avait pas cessé de fonctionner, mais la vie s’en était retirée. Un haut clergé grassement rente, des abus crians, mais réguliers et très bien supportés, la réunion fréquente de plusieurs bénéfices sur un seul titulaire (ce qu’on appela le pluralisme), la coutume très usitée chez les clergymen les mieux rétribués de se faire remplacer par des subalternes misérablement payés, des études théologiques dérisoires, l’absence de tout mouvement philosophique ou religieux, telle fut