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mensonge, d’ignorance et d’hypocrisie ! Malheur à mes yeux, car ils ont contemplé le scandale ! Malheur à mes pieds qui ont souvent suivi des sentiers proscrits de Dieu ! Malheur à mon corps et malheur à mon âme rebelle à son créateur ! Que ferai-je lorsque j’arriverai face à face devant le juge de toute équité et lorsqu’il me reprochera les œuvres que j’ai accumulées dans ma jeunesse ? Malheur à tout homme qui meurt dans ses péchés ! Cette heure terrible, qui a déjà frappé mon père Jacques, lorsque son âme s’envola de son corps, la voici donc, elle est proche. Oh ! qu’aujourd’hui je suis misérable et digne de compassion ! » À ce moment, la Mort s’avance avec son cortège de démons « dont les vêtemens, les bouches, les visages jettent du feu, » ils s’apprêtent à saisir l’âme du mourant et à l’emporter ; mais Jésus veille, il appelle à son aide les puissances du ciel. « Le prince des anges, » Michel, et Gabriel, « le héraut de lumière, » écartant la Mort et ses satellites, enveloppent l’âme dans un linceul éclatant ; ils la défendent sur la route contre l’attaque des démons, et après une lutte violente l’apportent au lieu qu’habitent les justes. Voilà le premier modèle de ces combats entre les esprits de ténèbres et les anges du ciel pour s’emparer de l’âme d’un mourant qu’ont si souvent reproduits l’art et la poésie du moyen âge.

C’est aussi dans les évangiles apocryphes qu’il faut chercher l’origine de toutes ces légendes sur la naissance du Christ, qui ont fini par se mêler au récit authentique et n’en peuvent plus être séparées. Le voyage de Marie à Bethléem, la façon dont elle y est reçue, l’arrivée des sages-femmes qui la délivrent, la clarté subite qui remplit la caverne où naît l’Enfant-Dieu, le séjour dans l’étable à côté du bœuf et de l’âne, la visite des pasteurs, l’adoration des trois mages, dont les évangiles canoniques parlent si peu ou ne disent rien, sont racontés dans les apocryphes avec les plus grands détails. La fuite en Égypte, qui n’est mentionnée qu’incidemment dans saint Matthieu, remplit tout un évangile. Ces récits merveilleux se sont imposés à toutes les mémoires, aucun d’eux dans la suite ne s’oubliera. Ils reparaîtront d’abord naïvement reproduits dans les drames liturgiques du moyen âge, et l’on y verra par exemple, le jour de Noël, des enfans de chœur, en costume d’anges, placés sous les voûtes de l’église, chanter le Gloria in excelsis, trois chanoines vêtus de soie, avec des couronnes d’or sur la tête, représentant les rois mages, et même deux prêtres en dalmatique qui figurent les sages-femmes (duo presbyteri dalmaticati, quasi obstetrices)[1]. De là ces légendes, passant dans les

  1. On peut voir, à propos de ces drames liturgiques, les Origines latines du théâtre moderne d’Édélestand Duméril.