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continue en critiquant à leur tour les théories hindoues et en leur opposant un résumé de la religion chrétienne sur la base, très judicieusement choisie, de l’oraison dominicale. Peut-être les Européens auraient-ils pu tirer autant de profit de cette partie que les Hindous. C’est sans doute pour cela que plus d’un lecteur anglais se dit que l’auteur lui-même aurait eu besoin d’un missionnaire pour le ramener à l’Évangile. En fait, Rowland Williams n’avait maintenu la supériorité du christianisme qu’aux dépens de l’orthodoxie chrétienne.

Une des lois les plus faciles à vérifier de l’histoire religieuse, c’est que les grandes découvertes géographiques et ethniques sont toujours suivies d’une modification dans les croyances. Il n’est pas possible de rester cantonné dans l’ancienne étroitesse quand le monde s’élargit à perte de vue. Le Juif de l’époque alexandrine dut reculer ses horizons religieux quand il eut acquis la conscience de la petite place que son pays et son peuple tenaient sur la terre habitée. Les conquêtes d’Alexandre, celles de Rome, en concassant mille religions locales, donnèrent lieu d’une part au doute, de l’autre à un syncrétisme plus ou moins philosophique où le gros paganisme, le bon vieux culte de la nature, devint méconnaissable. Les premiers symptômes du scepticisme religieux datent chez nous des croisades. Quand plus tard les grandes découvertes du XVe siècle eurent mis l’Europe chrétienne en face de ces civilisations d’Amérique et d’Asie qui vivaient depuis tant de siècles de maximes et de croyances si différentes des nôtres, la foi naïve, la foi plénière subit un ébranlement dont, à vrai dire, elle ne s’est jamais relevée, et dont Montaigne est l’organe à la fois souriant et tragique. De nos jours, on peut constater dans les pays à grandes colonies, en Angleterre peut-être moins qu’ailleurs, mais pourtant comme ailleurs, les ravages qu’inflige à l’absolutisme des croyances le commerce prolongé avec des populations complètement étrangères à la foi chrétienne. Les anciennes théories, les vieilles apologies, ne recouvrent pas ce fait brutal et patent qu’en définitive la rédemption de l’humanité, considérée comme accomplie depuis bientôt vingt siècles, a laissé en dehors de sa sphère d’action la majorité du genre humain. L’étude comparée des religions, en révélant des lois de formation et de développement qui leur sont communes à toutes, achève ce désarroi des anciennes dogmatiques, et si l’on persiste à revendiquer pour le christianisme la supériorité à laquelle il a tous les droits, c’est à la condition de concevoir une genèse religieuse de l’humanité dans laquelle chacune des grandes conceptions du divin qui se sont succédé ou qui coexistent sur la terre trouve sa place logique, sa valeur proportionnelle, rentre en un mot dans la pyramide ; mais, s’il en est ainsi, toute l’ancienne apologie est à refaire,