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dans les couches de fond de la société juive et parmi la plèbe des tribus. Ce phénomène n’apparaît nulle part mieux qu’en Algérie, où cette société, séculairement soustraite aux influences d’un milieu civilisé, a conservé sa primitive originalité ; mais la raideur sémitique s’accompagne chez le Juif d’une souplesse merveilleuse en tout ce qui ne touche pas directement à ses affaires de conscience. C’est ainsi que cette race a pu perdre sa nationalité et son pays, traverser de longues persécutions sans périr nulle part, et même en prenant dans certaines sociétés une place considérable. En Algérie, elle avait fini par se convaincre qu’elle ferait acte de sagesse en réclamant l’assimilation, dont elle jouissait déjà depuis trois quarts de siècle dans la métropole, et la masse suivait, non par un entraînement irréfléchi, mais avec un sentiment raisonné, l’impulsion de la classe dirigeante. C’est à la justice que revenait le principal honneur de cette conversion, dont le sénatus-consulte suspendit si malencontreusement les élans. La violence de la réaction dépassa l’énergie du mouvement.

Quelques rabbins de bas étage, ignorans et fanatiques, véritables marabouts du judaïsme, ennemis de toute innovation par sécheresse d’esprit et pusillanimité de cœur, et dont l’opposition n’était pas même exempte de tout mobile intéressé, entretenaient habilement ces sentimens répulsifs. Si la qualité de marabout confère chez les Arabes un véritable privilège de parasitisme, celle de rabbin peut aussi devenir chez les israélites une source de lucre. Ce lucre ne s’obtient point toutefois sans travail ; ces rabbins ne sont pas des illuminés ou des charlatans nourris dans l’oisiveté par la superstition, ce sont de simples commerçans dont l’enseigne religieuse favorise les spéculations. Un précepte mosaïque dont se sont affranchis plusieurs, mais que la masse observe toujours rigoureusement, impose aux Juifs de ne boire que du vin préparé par leurs rabbins et de ne manger que la chair d’animaux également immolés par eux selon des rites prescrits. Les rabbins purificateurs et sacrificateurs fournissent directement pour la plupart aux fidèles les denrées alimentaires que ceux-ci doivent consommer. Ils éprouvaient et propageaient une aversion toute naturelle pour des nouveautés capables d’émanciper la conscience de leurs coreligionnaires, et par suite de les atteindre eux-mêmes dans leurs intérêts commerciaux. Dans cette crainte, ils n’hésitaient pas à abuser de l’ascendant attaché à leur caractère sacerdotal pour répandre les inventions les plus odieuses. C’est ainsi qu’ils persuadaient aux familles juives que la naturalisation les obligerait à travailler le samedi et à observer le dimanche comme les chrétiens, enflammant par ces mensonges les passions de la partie inintelligente et exaltée de leurs coreligionnaires.