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partie de leurs terres, que les vainqueurs se distribuaient entre eux pour des établissemens particuliers. L’on appelait colons les citoyens de la nation victorieuse qui se fixaient ainsi sur le sol conquis, et, comme ils y avaient une condition supérieure à celle des indigènes, ces derniers devaient aspirer à l’égalité. Cette égalité, en leur faisant supporter la défaite, devenait un gage de paix pour les vainqueurs, et devait amener à la longue l’union des intérêts et des âmes. C’est ce qui n’échappa point au génie pratique de Rome, et elle eut l’habileté d’attacher un tel prestige au titre de citoyen romain que l’on en regardait partout la possession comme le plus précieux privilège. Chez les barbares, il imposait le respect ; dans les plus lointaines colonies, il était une garantie souveraine contre l’arbitraire des autorités locales ; « avec lui, a dit Montesquieu, on était tout ; sans lui, on n’était rien. » Aussi vit-on des têtes couronnées le solliciter et des peuples combattre pour l’obtenir. Sur une population musulmane indigène de 2,500,000 âmes, nous comptons à cette heure 250 individus naturalisés, — tout juste 1 pour 10,000. Pourquoi notre naturalisation, qui ne vaut pas moins en elle-même que ce droit de cité des Romains, n’a-t-elle rencontré parmi cette population qu’une fortune inverse ? Ce n’est pas à la difficulté de remplir les conditions imposées pour l’obtenir qu’il faut imputer ce résultat, car le candidat doit seulement justifier de vingt et un ans d’âge et d’une résidence annale dans la localité où il formule sa demande. Ce n’est pas davantage à la sévérité des juges de la naturalisation, car, si l’on en croit un monument mémorable des doléances des colons, les cahiers algériens de 1870, dressés en vue des débats législatifs, elle n’avait guère été accordée jusque-là qu’à des individualités déclassées.

Quand on a longtemps vécu en Algérie en contact avec les populations indigènes, on se rend facilement compte des répugnances ou de l’indifférence que la naturalisation leur inspire. L’avenir modifiera-t-il ces dispositions ? Il ne nous paraît pas interdit de l’espérer ; mais un tel phénomène, s’il se réalise, ne sera certainement dû en rien à l’influence du sénatus-consulte, qui favorise au contraire la tendance des musulmans à persévérer dans le statu quo.

Le sénatus-consulte les déclare Français, mais en disposant que, jusqu’au moment où ils auront acquis sur leur demande la qualité de citoyens, ils continueront d’être régis par la loi musulmane. Il ne s’agit plus ici d’un statut personnel indéterminé. Ce texte est clair et précis. Il réserve à l’indigénat musulman son autonomie légale en l’appelant à bénéficier simultanément de la protection de nos lois. Un décret du 26 avril 1866, pris en exécution de l’article 5, a de plus, par une dérogation au droit commun d’une