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les questions qui, je ne sais d’où, venaient à moi et m’obsédaient sans cesse. A force d’y réfléchir en vain, je fus pris d’une si amère tristesse que mon corps se desséchait et que mes joues se couvraient de pâleur. Plus j’essayais d’échapper à ces angoisses de l’âme, plus elles m’étreignaient violemment, et je gémissais de porter en moi le fléau de ma pensée, ignorant que Dieu m’avait donné en elle la plus bienfaisante des compagnes et que je lui devrais un jour l’espoir de l’immortalité. » Pour échapper à ses doutes, il interroge les philosophes, qui n’ont rien de certain à lui apprendre. Plus tourmenté que jamais, il songe à partir pour l’Égypte ; dans ce pays des superstitions et des prodiges, il veut évoquer un mort et savoir de lui les mystères de l’autre vie. Tout à coup le bruit se répand à Rome qu’il se passe en Judée des événemens étranges. Depuis le printemps, un homme qui se dit envoyé du ciel annonce aux Juifs le royaume de Dieu ; pour donner plus d’autorité à sa parole, il fait des miracles, il chasse les démons, il guérit les malades, il ressuscite les morts. Clément se décide aussitôt à l’aller trouver. Il quitte Rome en toute hâte, mais, quand il arrive en Judée, le Christ est mort, et ses apôtres seuls prêchent sa doctrine. Le jeune Romain s’attache au premier d’entre eux, à saint Pierre, devient son disciple et assisté à ses discussions avec son terrible rival, Simon le Magicien.

Ces discussions sont de véritables batailles théologiques ; elles animent l’opinion et attirent la foule. Quand le peuple sait que le combat va se livrer, il se précipite « comme les flots d’un grand fleuve, » il remplit les places, il envahit les jardins, il franchit les murs, il se presse pour mieux entendre. Les deux adversaires arrivent entourés de leurs amis ; ils se placent sur quelque endroit élevé d’où l’on peut les voir, sur les degrés d’un édifice ou la base d’une colonne ; ils saluent d’abord l’assistance, puis ils se font des défis l’un à l’autre, comme les héros des poèmes homériques, et la discussion commence. Voilà donc comment on se figurait au second siècle la prédication des apôtres. En réalité, les choses ne s’étaient pas tout à fait passées ainsi, et la doctrine nouvelle avait eu des commencemens plus modestes. Elle ne s’était que rarement produite devant les foules rassemblées. On l’avait prêchée d’abord dans les synagogues, en présence de quelques Juifs pieux, qui attendaient le libérateur. De là elle s’était insinuée dans quelques familles païennes, apportée sans bruit par quelque esclave de l’Orient, accueillie avec avidité par les âmes inquiètes, ébranlées, hésitant entre les opinions diverses, et qui cherchaient, comme le jeune Clément, une doctrine solide. Mais au second siècle, quand furent composées les Clémentines, le christianisme était plus répandu, plus