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contraire cette dot des mains de l’époux, auquel il la restitue au cas d’une rupture de l’union conjugale survenue par la faute de sa fille. Notre contact n’a nullement modifié sous ce rapport les idées des Arabes. Les égards et les respects que nous témoignons aux femmes les étonnent et les indignent. Il y a quelques années, aux courses d’Alger, on imagina de faire distribuer les prix par des dames ; les vainqueurs indigènes furent froissés de recevoir de ces mains leurs récompenses.

La polygamie n’est pas d’un usage très fréquent dans les tribus. Le Coran, en permettant la pluralité des épouses, n’en tolère jamais plus de quatre à la fois, et dans tous les cas il défend d’en prendre plus qu’on n’en saurait nourrir. Or la pauvreté générale des Arabes limite beaucoup l’exercice de ce droit. Bon nombre vivent dans le célibat, la majorité s’en tient à une seule femme légitime. Quant aux concubines, elles sont, comme les esclaves[1], le luxe des gens de grande tente ; mais on pratique souvent le divorce dans les ménages. La société musulmane est attachée à ces coutumes, auxquelles la naturalisation française substitue l’unité et l’indissolubilité du mariage.

Le Kabyle ne s’adonne point à la polygamie, non que ses kanouns la lui interdisent, mais la coutume contraire a prévalu dans cette population à raison de l’exiguïté et de l’indigence de son territoire. La même cause l’a également empêchée de laisser l’état d’indivision se perpétuer dans les héritages. Si l’étendue des espaces favorisait chez les Arabes la tradition de la forme sociale primitive du patriarcat, la nécessité de tirer d’un sol étroit et avare sa subsistance par le travail faisait au Kabyle une impérieuse loi de l’appropriation individuelle et d’une économie domestique en rapport. C’est surtout par la constitution du sol de la Kabylie que s’expliquent la persistance des usages monogames de ses habitans et leur horreur des pratiques communistes attachées parmi leurs coreligionnaires arabes à la jouissance de la terre. La division du sol est même poussée à un tel point chez eux, que souvent un

  1. L’esclavage, quoique légalement supprimé en Algérie depuis 1818, y subsiste encore en réalité. Les esclaves sont des nègres amenés du Soudan par des caravanes et anciennement vendus sur les marchés indigènes, ou leurs descendans. Les mœurs patriarcales de la tente ont beaucoup adouci leur condition. Ils occupent chez leur maître une place intermédiaire entre la domesticité et la famille. Ils sont très susceptibles d’affection et de dévoûment. En 1865 ou 1866, étant juge d’instruction à Oran, je poursuivais sous inculpation d’assassinat un ancien caïd des Gharaba. Un jeune nègre vint me demander à partager sa prison. « J’ai été, me dit-il, élevé chez cet homme et habitué à le considérer comme mon père. Un jour il m’a battu, je me suis enfui et marié ensuite ici. Aujourd’hui j’apprends qu’il est dans la peine, mon devoir est de tout abandonner pour lui. »