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audacieux. Quoique persécuté, il parlait plus haut, il voulait que son début répondît à sa nouvelle fortune ; il s’imaginait volontiers que dès le premier jour il avait attiré sur lui les yeux du monde, et qu’il s’était propagé par des prédications triomphantes. Comme la théologie passionnait alors tous les esprits, qu’on ne connaissait pas de plaisir plus vif que de discuter des questions de dogme et de doctrine, on supposa que le premier enseignement chrétien avait été donné sous la forme de tournoi théologique.

La théologie des Clémentines n’est pas toujours orthodoxe. Les anciens érudits, et surtout Cotelier, y avaient déjà signalé quelques traces de cette doctrine qu’on appelle l’ébionisme, et qui fut si importante pendant les premiers siècles de l’église. La critique de nos jours, plus pénétrante et plus perspicace, en a découvert bien plus encore. En étudiant l’ouvrage à fond et avec un esprit dégagé des préjugés d’école, elle en a mieux compris le caractère et y a fait des découvertes très curieuses. Il est évidemment composé à la gloire de saint Pierre, et l’auteur, selon l’usage, humilie les autres apôtres pour rehausser son héros. On s’en était bien aperçu, mais il est étrange qu’on n’eût pas signalé la façon dont saint Paul y est traité. Il n’est question de lui qu’une fois, encore n’est-il pas désigné par son nom, on l’appelle l’ennemi, homo inimicus. On y raconte les persécutions dont il accabla les fidèles après la mort du Christ, ses violences contre saint Jacques et le voyage de Damas entrepris pour achever de perdre les chrétiens fugitifs. Il est évident que l’auteur des Clémentines regarde toujours saint Paul comme l’ardent ennemi du christianisme. Pour lui, sa conversion, son apostolat, n’existent pas, ou plutôt il le déteste davantage, il le croit plus dangereux depuis qu’il prêche l’Évangile que lorsqu’il le persécutait. Il ne peut lui pardonner d’avoir appelé les gentils à la bonne nouvelle, il partage toutes les rancunes de ces chrétiens judaïsans qui lui en voulaient mortellement de rompre avec les pratiques de la loi, et de détacher la doctrine nouvelle du tronc antique sur lequel elle avait germé. Sa haine contre lui a même trouvé une façon originale et cruelle de se manifester : il affecte de prêter ses opinions à l’ennemi détesté du christianisme naissant, à Simon le Magicien. Simon y est représenté sans doute avec les traits que la tradition lui donnait : c’est avant tout un enchanteur puissant qui vole dans l’air, marche sur les flots, traverse des montagnes, qui invente des statues animées, des chiens de pierre ou d’airain qui aboient, des faucilles qui moissonnent seules, qui gouverne les élémens et ressuscite les morts ; mais comme théologien, c’est à saint Paul qu’il ressemble. Le dessein de l’auteur est manifeste, et il n’est guère possible de nier l’identité des deux personnages. On sait avec quelle