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tége grec Andronic Doucas, dont l’aîné s’appelle Constantin. Celle qu’ils cherchent, c’est leur sœur, « l’admirable jouvencelle » comme l’appelle le poète, qui d’ailleurs ne juge pas à propos de lui donner un autre nom. En leur absence, un ennemi a fondu sur le château paterne, exterminé les serviteurs. Leur sœur a disparu. Comme ils ne doutent pas de sa mort, ils se lamentent, et cette lamentation poétique rappelle tout à fait les chans funèbres, improvisés en l’honneur des morts, qu’on retrouve chez les Grecs, les Slaves, les Écossais et chez presque toutes les nations primitives Celle qu’ils pleurent n’est pas morte. Elle vit, elle est prisonnière de son ravisseur, l’émir d’Édesse. Nous retrouvons les cinq frères, l’épée nue en présence de l’émir, le sommant de rendre leur sœur. Le musulman, fort effrayé de leur démarche, leur demande des explications, apprend qui ils sont et à son tour leur fait une déclaration. Lui qui commande à 3,000 palikares, qui a conquis la Syrie, pillé Héraclée, Amorium et Iférium, lui que n’effrayèrent jamais ni armées, ni bêtes féroces, il a été vaincu par les charmes de leur sœur. Il a conçu pour elle un amour si vif qu’il est prêt à renier l’islamisme et à se faire Romain, un amour si respectueux qu’il ne s’est jamais permis d’entrer dans la tente de sa captive, ni de lui dérober un baiser. Il conduit les cinq frères auprès de leur sœur, qu’ils trouvent couchée sur un lit d’or, et avec laquelle ils confondent leurs larmes. La joie est générale à la nouvelle de la conversion du redoutable émir et « la renommée publie dans le monde entier qu’une charmante jouvencelle, par les prestiges de sa beauté, a vaincu les fameuses armées de la Syrie. » L’émir se trouve pourtant dans une situation difficile. D’une part, sa vieille mère vient d’apprendre son apostasie et lui adresse une lettre de reproches dans laquelle, sous les plus terribles imprécations, elle lui enjoint de revenir à Édesse ; d’autre part les cinq frères le soupçonnent de vouloir abandonner leur sœur et sont toujours prêts à tirer l’épée. Le terrible chef, devenu débonnaire par amour, trouve moyen d’apaiser ses beaux-frères ; puis il repart pour la Syrie, fait à sa mère une touchante peinture de sa passion et lui expose avec tant d’éloquence les vérités de la religion chrétienne qu’il convertit à sa foi nouvelle non-seulement la vieille musulmane, mais tous ses parens. Tous l’accompagnent en Romanie pour se mettre au service de l’empereur orthodoxe. Dès lors l’émir Mouzour goûte aux côtés de « l’admirable jouvencelle » un bonheur sans mélange. Devenu vieux, il consacre ses derniers jours « à l’étude des voies du Seigneur. » Il peut se reposer sur ses lauriers, car Dieu lui a donné un héritier de sa valeur. De l’émir d’Édesse et de la fille des Doucas est né un héros, Digénis Akritas. Avec le quatrième livre commence le récit de ses exploits.

À six ans, on le baptise. Pendant trois années, on le remet entre