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administratives qui forçaient d’aller dans les temples et de sacrifier aux dieux, on avait moins de souci des dignités et des richesses, qui étaient jugées nuisibles au salut. Toute l’activité, toutes les ardeurs de l’esprit se tournaient vers les discussions dogmatiques. C’était à ce moment la grande affaire de tout le monde, car tout le monde y avait part. La religion nouvelle les avait mises à la portée des ignorans et des pauvres, et ils éprouvaient d’autant plus de plaisir à s’en occuper que c’était pour eux un plaisir nouveau. Ces disputes subtiles, qui furent plus tard confinées dans quelques couvens, passionnaient donc toute la communauté chrétienne, et il n’est pas étonnant qu’elles se soient introduites dans la poésie, comme tout ce qui excite les âmes. La théologie, qui ne nous paraît convenir qu’à des traités de scolastique, a donc inspiré les poètes. Elle a produit au Ve siècle des ouvrages remarquables ; comme l’Apotheosis et l’Hamertigenia de Prudence, où l’ardeur des sentimens s’unit à la vigueur de la pensée, et la place qu’elle a prise alors dans les œuvres poétiques, elle ne l’a pas tout à fait perdue plus tard, car on la retrouve encore, et non sans éclat, chez Dante et chez Milton.

Le Pasteur d’Hermas forme un contraste complet avec les Clémentines, et il a dû être pour la poésie chrétienne une source d’inspirations différentes. Le christianisme a toujours eu de ces courans distincts qui se perdent dans sa large unité ; ses doctrines peuvent s’approprier à des natures très diverses, il est l’aliment des doux comme des forts, de Minutius Félix et de Tertullien, de Saint-Cyran et de François de Sales, de Bossuet et de Fénelon. Les Clémentines s’adressaient aux discuteurs et aux violens ; le Pasteur d’Hermas fut composé par quelque âme tendre pour les mystiques et les rêveurs. D’abord il y est peu question de dogmes, l’enseignement y est tout moral. Il s’agit moins d’éclairer un homme sur ses croyances que de lui apprendre ses devoirs. Hermas, le héros de l’ouvrage, n’est pas tout à fait un saint. Il est représenté honnête et bon, mais faible. On lui reproche de mal gouverner sa famille, de laisser chez lui trop de licence à sa femme et à ses fils, qui se conduisent mal. Lui-même n’a pas entièrement arraché de son cœur les anciennes affections. Il s’est un jour laissé trop toucher à la vue d’une jeune fille qu’il a connue esclave et que le hasard lui fait retrouver pendant qu’elle se baigne dans le Tibre. « En la voyant, dit-il, je me pris à songer dans mon cœur, et je me disais : Que je serais heureux si je pouvais avoir une épouse si belle et si sage ! Ce fut tout, et ma pensée n’alla pas plus avant. » C’était trop : Hermas est coupable « d’avoir rendu hommage à cette créature de Dieu, voyant combien elle était belle. » Il a péché, il faut qu’il soit puni ; mais