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est entrée en transaction avec la réalité en abdiquant quelques-unes de ses chimères, en reconnaissant comme une vérité qu’il n’y a qu’une république possible, celle qui se concilie avec la paix sociale, avec la sauvegarde des intérêts nationaux, avec toutes les garanties conservatrices. Rien de mieux ; il est bien clair seulement que cette politique n’a toute sa force et son efficacité que si elle est suivie jusqu’au bout, si ceux qui l’ont inaugurée en acceptent les conséquences sans arrière-pensée. Ce n’est qu’à ce prix qu’on peut réussir et faire d’un premier succès un succès définitif, en accoutumant la France à un régime qui n’a représenté longtemps pour elle que la sédition, les violences révolutionnaires et l’instabilité conduisant presque fatalement à des excès de réaction.

Qu’est-il arrivé cependant ? Une partie de la gauche, la plus sérieuse, la plus politique, a bien compris, elle comprend encore cette situation aussi délicate que compliquée, elle a le courage de ne pas se fatiguer de la modération ; une autre partie a visiblement de la peine à se contenir. Cette partie plus ardente de la gauche a continué sans doute à voter dans les grandes occasions d’une manière modérée, elle n’a pas attendu la fin de la session pour éclater en paroles amères, en impatiences d’hostilité, comme pour se venger de la modération de ses votes par l’impétuosité de ses discours. Qu’elle ait cédé à l’irréflexion ou à de vieilles ardeurs mal contenues, ou à la crainte de perdre sa popularité dans le monde radical, elle a trop laissé voir que toute cette diplomatie et cette discipline commençaient à lui peser, que, si elle pouvait, elle ne s’en tiendrait pas à ce qu’elle considérait comme une fiction ou une dérision de la république. Elle n’a pas vu qu’en agissant ainsi elle ébranlait l’autorité de cette œuvre même à laquelle elle venait de prêter son concours, qu’elle affaiblissait ou refroidissait ses alliés et qu’elle ne faisait que donner des armes à ses adversaires sans profit pour sa propre cause. C’est la faute de M. Buffet et de ses provocations, disent les habiles : c’est possible. Après tout, on connaissait bien M. Buffet lorsqu’on acceptait, lorsqu’on favorisait son avènement au pouvoir, on ne se faisait point apparemment l’illusion qu’il allait gouverner avec le radicalisme, et en l’attaquant aujourd’hui avec l’âpreté qui a été déployée, on se mettait dans l’alternative de faire beaucoup de bruit pour rien ou de provoquer une crise d’où pouvait sortir un ministère moins favorable à la république du 25 février. La vérité est que toute cette campagne engagée aux derniers jours de la session a été aussi incohérente qu’inopportune, et que M. Gambetta y a compromis sa réputation de tacticien. La gauche, au lieu de rester tranquille, a eu l’air d’un parti embarrassé qui ne sait être ni complètement modéré, ni hardiment révolutionnaire, qui éprouve le besoin de s’agiter stérilement, au risque d’altérer une situation péniblement conquise. Attaquer violemment un ministère qu’on ne peut pas et qu’on ne veut peut-être pas