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fin de compte de l’impuissance vraisemblable de l’armée française dans un nouveau conflit. Le Times, qui pour cette fois prend notre défense, explique de son côté que tout cela est une affaire de temps, que des critiques, qui seraient justes, si nous songions à une guerre offensive, le sont beaucoup moins lorsque la France ne peut songer qu’à se défendre en reconstituant lentement ses forces militaires, et en définitive les deux journaux anglais peuvent avoir raison, ou du moins les appréciations très sérieuses, très instructives, auxquelles ils se livrent ne s’excluent pas absolument. Il est bien possible en effet que tout ne soit pas pour le mieux dans nos affaires militaires malgré les dépenses considérables faites pour notre armée ; il est bien certain aussi qu’après des catastrophes comme celle de la guerre de 1870 la puissance militaire d’une nation ne se renouvelle pas en quelques jours, ni même en deux ou trois années ; la transition est difficile, laborieuse, compliquée, et ces lenteurs jusqu’à un certain point inévitables, que les uns jugent avec sévérité, que les autres expliquent par la force des choses, ces lenteurs mêmes sont tout au moins la meilleure réponse à ceux qui croient voir la France toujours prête à se jeter dans des aventures nouvelles, à improviser des guerres de revanche. Cette polémique aussi intéressante qu’imprévue qui vient de s’élever au-delà de la Manche est vraiment le commentaire le plus significatif des suspicions dont la France a été l’objet au printemps dernier, de même qu’elle détruit d’avance les accusations nouvelles qui pourraient nous venir encore d’Allemagne. Au fond, la lenteur de notre réorganisation militaire est certes une des raisons que notre pays peut avoir de ne point songer pour le moment à la guerre, elle n’est point la seule. La France n’est pas aussi impatiente qu’on le croit ; elle n’est pas assez la dupe de ses vieilles illusions, et elle n’a pas assez peu de foi en ses destinées pour se compromettre étourdiment dans des entreprises de hasard. Elle est intéressée à la paix, non-seulement parce qu’elle a besoin de temps pour reconstituer son armée, mais parce qu’elle porte encore partout dans sa vie intérieure la marque de ses désastres, parce que la guerre lui a laissé des charges sous lesquelles elle ne plie pas sans doute, qui ne restent pas moins lourdes, et auxquelles elle ne peut faire face que par l’énergie réparatrice d’une vitalité renaissante.

La réalité de notre situation financière, elle est écrite dans le copieux et substantiel rapport de M. Wolowski sur le budget que l’assemblée a voté avant de se séparer, qu’elle n’a discuté qu’en courant, avec distraction et d’une manière entrecoupée. Le rapport de M. Wolowski est un exposé complet, presque dramatique, des finances françaises surprises en quelque sorte dans les transformations qu’elles subissent d’année en année, dans les mouvemens de la richesse publique, dans les aggravations d’impôts. C’est une histoire à la fois douloureuse et fortifiante