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à quelle peine doit-il s’attendre ? quelle expiation Dieu lui demandera-t-il de sa faute ? Cette pensée l’attriste et l’épouvante. Que d’autres en devraient être émus alors et troublés comme lui ! Le temps était passé des complaisances pour soi-même, des accommodemens avec la vie, de cette morale indulgente qui se pardonne si aisément et garde ses rigueurs pour les autres. Depuis qu’on était si assuré de revivre, qu’on s’attendait à trouver après la mort des punitions ou des récompenses, on avait toujours les yeux sur cet avenir terrible. Après une faute commise, on n’éprouvait plus qu’un désir, on voulait trouver quelque moyen de rentrer en grâce avec ce Dieu qu’on avait offensé ; mais ce moyen existait-il ? Une école qui a porté différens noms, sans jamais cesser d’exister dans la société chrétienne, proclamait qu’il n’était pas possible de reconquérir l’innocence perdue, et qu’après le baptême il n’y avait plus de pardon pour le pécheur. La morale d’Hermas est moins rigoureuse. Il nous raconte que, pendant qu’il se désespérait, un ange lui est apparu pour le rassurer et lui a dit : a Dieu, qui connaît l’infirmité humaine et la méchanceté du diable, m’a donné le droit d’accorder la pénitence, mais une seule pénitence. Celui qui après avoir été pardonné retombera dans sa faute n’a plus rien à espérer de son repentir, et il ne peut plus désormais s’attendre à se réconcilier avec Dieu. » Un seul pardon, ce n’est guère ; je crois qu’il nous serait difficile aujourd’hui de nous en contenter ; mais alors les âmes étaient si pleines d’effroi, si inquiètes de l’avenir, qu’on regardait comme un grand bonheur la certitude que les fautes seraient une fois remises, et que tout le monde était tenté de dire avec Hermas : « Seigneur, je revis en entendant ces choses. »

Ce caractère de douceur et de modération se retrouve dans tout l’ouvrage. Les questions qui préoccupaient alors l’église y sont toujours résolues dans le sens le moins rigoureux. Que doit faire le mari, se demandait-on, quand il a surpris sa femme en adultère ? La renvoyer, disaient quelques-uns, et considérer le mariage comme rompu. Hermas veut qu’il la garde lorsqu’elle manifeste quelque repentir. S’il la renvoie, il lui défend d’en épouser une autre pour se laisser toujours le droit de pardonner. — Les secondes noces sont-elles permises ? Non, répondaient les montanistes et beaucoup d’orthodoxes pieux : celui qui se remarie après avoir perdu sa femme commet un adultère. Ce n’est pas l’avis d’Hermas ; il pense qu’il vaut mieux rester seul, mais qu’on peut se remarier sans crime. Cette indulgence indigne Tertullien, qui ne tarit pas d’outrages contre ce « pasteur des débauchés ; » mais l’église a jugé comme Hermas. Tous les conseils que donne le Pasteur sur la conduite de la vie sont inspirés par le même esprit de sagesse et d’humanité. Il