Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 11.djvu/145

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les Coréens, qui ont tiré le leur des caractères chinois, mais encore sous l’influence de la connaissance d’un système alphabétique dérivé du phénicien, procèdent de la création chananéenne. Les recherches poursuivies depuis plus d’un demi-siècle sur l’histoire de l’alphabet ont établi que l’alphabet phénicien est l’ancêtre de tous ceux qui existent en Europe et en Asie. Il s’est échappé de la source première de cette grande conception divers courans qui se sont avancés en différentes directions et ont constitué des embranchemens multipliés. Des modifications graduellement apportées à la configuration des caractères, l’addition de nouveaux signes destinés à représenter des articulations que l’alphabet-type ne traduisait pas, ont donné naissance à une foule d’alphabets particuliers. Les Grecs, qui désignaient sous le nom de lettres phéniciennes les formes les plus archaïques de leur alphabet et qui en faisaient remonter l’invention à un personnage fabuleux nommé Cadmus, les avaient manifestement reçues de la Phénicie. Le nom même et l’ordre qu’ils attribuaient aux lettres le prouvent ; mais en se l’appropriant, ils assignèrent à certaines de ces lettres une valeur vocale bien plus accusée qu’elle n’était chez les peuples de la Palestine, où en usant de caractères spéciaux pour les lettres on négligeait, comme on le fait encore aujourd’hui en arabe, d’indiquer les voyelles intérieures des mots. La notation graphique n’offrait que la charpente stable et plus arrêtée des consonnes ; la voyelle demeurait donc, dans une certaine mesure, unie à la consonne écrite, bien que le son de cette voyelle pût se modifier dans le mot. Aussi plus tard, quand on eut pris l’habitude de noter la voyelle et que le souvenir de celle qu’il fallait suppléer tendait à se perdre, dut-on recourir à un ensemble de signes placés au-dessus, au-dessous ou au dedans des lettres pour marquer les voyelles. Tel est le système dont on attribue à tort l’invention aux Massorètes, et qui avait été précédé par des systèmes plus simples, mais moins précis, dont l’accentuation de l’arabe et du syriaque peut donner une idée.

Le plus ancien alphabet grec qui nous soit parvenu est celui que fournissent des inscriptions de l’île de Théra, remontant, selon toute apparence, au IXe ou VIIIe siècle avant Jésus-Christ. Les lettres y ont un aspect tout à fait phénicien. Aux siècles suivans, la configuration des caractères se modifia, et la direction adoptée dans le tracé de ces caractères changea totalement. Les Grecs avaient d’abord, à l’instar des Phéniciens, écrit de droite à gauche ; l’habitude où ils étaient d’inscrire à l’entour des figures le nom des personnages, de disposer circulairement sur un vase ou quelque autre objet l’inscription qui faisait connaître le nom de l’artiste ou du consécrateur, généralisa l’habitude de ces tracés dits boustraphédon et dans lesquels les lignes alternaient de sens, de sorte que, la première