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barbares reçurent la cursive romaine sous sa dernière forme, mais celle-ci ne pouvait manquer de subir chez eux de nouvelles altérations, car c’est le propre des écritures cursives d’être exposées à dévier davantage du type dont elles procèdent. Plus on voulait tracer rapidement les caractères, plus on était amené à multiplier les ligatures afin d’avoir de moins en moins à lever la main. Aussi dans la cursive que nous offre la première période du moyen âge voit-on les lettres s’enlacer souvent l’une avec l’autre au point qu’on ne peut plus guère les distinguer. La netteté, les formes arrêtées que présente l’onciale ont disparu, et la cursive mérovingienne ne nous offre parfois qu’un étrange griffonnage, dont les lettres crochues et contournées ne remédient pas par leurs fortes dimensions à l’obscurité qui résulte de leur déformation. C’est bien autre chose dans l’espèce de tachygraphie employée souvent dans les diplômes mérovingiens et carolingiens par les référendaires, les notes tironiennes, ainsi appelées parce qu’on en faisait remonter l’invention à un affranchi de Cicéron, Tullius Tiron. On recourait à cette sténographie pour protéger les actes contre l’habileté des faussaires. L’écriture dite minuscule, intermédiaire entre la majuscule et la cursive, est née de celle-ci, à laquelle elle a emprunté plusieurs de ses formes et de ses traits, tout en suivant encore les procédés de la majuscule. Les lettres y sont plus arrondies que dans l’onciale et de moindre dimension ; on y vise surtout à gagner de l’espace, à abréger le tracé en le rendant plus rapide ; on supprime des panses, des traverses, parfois de simples traits se substituent à des lignes plus accusées, les barres et les queues se recourbent ; mais, tout en simplifiant dans cette minuscule les formes de l’onciale, on en garde sans changemens les caractères les moins compliqués. Cette façon de procéder n’exclut pas une certaine élégance, même ce qu’on pourrait des fantaisies ou des fioritures qui s’observent surtout dans l’espèce de minuscule dite diplomatique, dont l’apparition date du XIe siècle. Là les hastes et les queues se prolongent souvent si démesurément qu’on dirait que le scribe n’a pu arrêter l’élan de sa main. Cette minuscule diplomatique, qui emprunte à la cursive plusieurs de ses lettres, finit au déclin de la première époque par la remplacer presque complètement. On voit aussi employée antérieurement une autre écriture où les hastes acquièrent des dimensions encore plus exagérées. C’est la demi-onciale ou écriture mixte, dont les lettres appartiennent tantôt à la majuscule, tantôt à la minuscule ; elle disparaît des diplômes au IXe siècle.

Les modifications graduelles que l’écriture subit dans les derniers siècles de la première époque, en s’accumulant pour ainsi parler, aboutirent à un style graphique véritablement nouveau, l’écriture qu’on a fort improprement appelée gothique, que