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détermine une réaction soudaine ; une explosion terrible éclate. De là cette apostrophe célèbre, sans égale au théâtre : va-t’en, monstre exécrable ! La conclusion est ici l’inverse de celle de Britannicus. Néron cède ; Phèdre se révolte. L’un ne demande qu’à être entraîné au crime ; l’autre s’y laisse aller, mais avec remords, et fait retomber sa colère sur une complice trop dévouée. C’est de part et d’autre la même loi : c’est toujours un conseiller qui plaide pour le vice ; mais l’un, maître de lui-même, ne fait pas une faute, et suit jusqu’au bout une tactique irréprochable ; l’autre, entraînée par une fausse bonté, oublie qu’elle parle à une âme humiliée et désespérée, pleine de remords, et en voulant caresser sa faiblesse elle ne fait que déchaîner les furies de ses remords impuissans.


IV

On vient de voir les principales lois qui régissent les passions dans les rapports des hommes entre eux : voyons celles de la passion dans une seule et même âme. Il sera possible d’être plus court sur ce second point, beaucoup de détails étant déjà indiqués dans ce qui précède. Nous trouvons encore ici deux lois principales : l’une que nous appellerons loi de fluctuation ou du flux et du reflux, l’autre loi de transformation. La première consiste dans l’oscillation presque machinale d’une passion à l’autre ou d’une extrémité à l’autre de la même passion, la seconde dans une évolution qui prend toutes les formes, et qui, sous l’apparence de mille passions diverses, nous présente toujours la même.

Nous avons dit qu’on a quelquefois essayé de ramener les phénomènes de l’âme aux lois de la mécanique. Le psychologue allemand Herbart a surtout développé cette pensée : suivant lui, les passions ou les idées (car pour lui tout est idée ou représentation) se comportent comme des forces ; elles se composent, elles s’opposent, elles se font équilibre, elles se limitent ou se suppriment réciproquement, et Herbart a cru même pouvoir soumettre au calcul les lois de ces actions et réactions diverses. Lorsqu’une idée domine dans l’âme, elle tient en échec les idées contraires : celles-ci sont « arrêtées, » c’est l’expression de Herbart ; elles restent « sur le seuil de la conscience, » prêtes à reparaître lorsque l’idée dominante aura dépensé toute sa force. Nous trouvons dans Racine un admirable exemple de ces « arrêts de conscience, » Hemmungen, comme les appelle Herbart : c’est le fameux qui te l’a dit ? d’Hermione, aussi sublime dans l’ordre des passions que le qu’il mourût ! dans l’ordre de l’héroïsme généreux. Sans aucun doute, la pensée