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Ce sentiment l’emportera-t-il ? Au contraire il suffit d’y avoir cédé un instant pour que la colère reprenne tout son empire :

Non ; ne révoquons pas l’arrêt de mon courroux ;
Qu’il périsse !


Mais c’est précisément cet arrêt une fois prononcé qui va réveiller la clémence de l’amante en furie :

Eh quoi ! c’est donc moi qui l’ordonne ?


Elle va prononcer un sursis, attendre encore :

Ah ! devant qu’il expire…


lorsque Cléone vient rallumer sa colère par la description du mariage de Pyrrhus, faite avec des traits qui semblent choisis exprès pour exaspérer Hermione ; le sort en est jeté :

Le perfide ! Il mourra,


L’impatience même est telle qu’elle craint la faiblesse d’Oreste :

Quoi donc ! Oreste encore,
Oreste me trahit !


Ainsi, on le voit, c’est au moment où Pyrrhus semble sur le point d’échapper au supplice qu’Hermione le condamne sans pitié. Heureux, elle le veut mort ; mort, elle reporte sa haine sur le meurtrier ; toujours en contradiction avec elle-même, voulant ce qui n’est pas et ne voulant pas ce qui est. Rien ne nous montre la passion plus près de la folie ; elle ne peut finir que par là ou par la mort. Tel est en effet le double dénoûment d’Andromaque : le suicide d’Hermione et les fureurs d’Oreste. Une suite de secousses contradictoires ne peut que briser la corde : c’est ce qui arrive nécessairement lorsque la passion est seule et sans contre-poids.

Racine, nous l’avons dit, s’est laissé un peu entraîner par la facilité de ce procédé, et que le passage du pour au contre devient dans la plupart de ses monologues une sorte de figure de rhétorique un peu monotone, quoique souvent riche en effets puissans. Même la forme extérieure a son moule presque toujours le même. D’abord le personnage commence par s’interroger lui-même : « Où suis-je ? » dit Hermione. — « Titus, que viens-tu faire ? » se dit Titus dans Bérénice. — « Que faut-il que je fasse ? » se dit Roxane. — « Tu ne le crois que trop, » se dit Mithridate. — « Que vais-je faire ? » dit Agamemnon. Puis les différentes phases de la délibération sont marquées par des non, des oui et des mais qui se