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qui s’est dessiné de plus net, et comme telles elles sont, à mon sens, la puissance avec laquelle il importe le plus de compter ; mais le positivisme est un Protée qui ne se laisse pas facilement saisir. Grâce à ce qu’il a encore de flottant et d’indéfini, il possède contre la critique un grand avantage, celui de pouvoir imiter la chauve-souris de la fable. A ceux qui lui reprochent sa philosophie, il répond volontiers que son principe est justement de ne se prononcer en aucune façon sur les questions religieuses et métaphysiques, qu’il est une pure méthode à l’usage des sciences d’observation. L’instant d’après, quand il s’agit de l’éducation à donner aux hommes ou des bases de la morale, il fait ce que faisait récemment M. Littré ; au nom de son axiome fondamental, que les vérités métaphysiques sont incognoscibles, il déclare que, lorsque la foi baisse, la seule ressource qui reste est de chercher la règle des devoirs dans la règle des choses, à quoi il ajoute vite : Où apprendre la règle des choses, si ce n’est dans les sciences expérimentales positives, dans la physique, la chimie, la physiologie ?

Il faut cependant s’entendre. Le positivisme sans doute est bien une méthode d’observation scientifique, et, en tant qu’il est cela, on ne peut certes pas lui reprocher sa résolution de se tenir en garde contre les théories spéculatives. Peut-être n’est-ce pas une chose aussi facile qu’il le croit d’observer les phénomènes sans être influencé par aucune métaphysique ; peut-être ces mêmes phénomènes, qu’il regarde comme des manières de paraître appartenant aux choses, sont-ils des manières humaines de voir qui résultent d’une métaphysique inconsciente. Peut-être enfin le positivisme ne réussit-il pas à faire ce qu’il croit faire. Toujours est-il qu’il a au moins parfaitement raison de contester à toute doctrine le droit de dicter la loi à l’observateur. Quand il s’agit de connaître les effets qui sont réellement visibles pour nous, nulle présomption déduite des idées préalables que nous pouvons nous être formées des causes invisibles n’a la moindre autorité pour trancher par ses il faut la question de fait.

Seulement le positivisme n’est pas sincère ou se rend mal compte de lui-même quand il se donne pour une méthode qui n’a trait qu’à l’étude des phénomènes sensibles. Sous la règle qu’il recommande se cachent des affirmations générales qui impliquent bel et bien une morale, une psychologie, une philosophie de l’histoire, une pédagogie. En fait, il ne se borne nullement à repousser les a priori du domaine de l’expérience : il déclare sans réserve que les faits sensibles sont les seuls faits connaissables, ce qui revient à biffer d’un seul trait tous les phénomènes moraux. Bref, il réduit le rôle de notre intelligence à l’étude des impressions de nos sens, et il soutient que les phénomènes chimiques, mécaniques,