Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 11.djvu/327

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chez les uns que chez les autres. C’est par leur propre inconscience de ce qui se passe en eux qu’ils se la donnent. Ils ne s’aperçoivent pas que leur intelligence même implique une théorie latente, ils ne se doutent pas que leurs manières de percevoir sont en même temps des manières d’expliquer, et ils croient voir dans les faits mêmes ce qui en réalité est simplement une explication venue de leur théorie inconsciente. Nos mystiques, quant à eux, savent de science certaine le changement qui s’est produit en eux. — Soit ; mais savent-ils également de science certaine comment ce changement s’est produit ? Nullement. Ils étaient résolus d’avance à croire que toute conversion ne peut être que l’effet d’une pression soudaine exercée par la toute-puissance, et c’est uniquement par suite de cette conception-là que le fait de leur conversion leur apparaît comme le résultat et la preuve d’une espèce d’opération perpétuelle dont le propre est de produire, chez n’importe quel homme, un résultat semblable.

Tel est exactement le procédé de nos savans. Ils croient d’avance que nos perceptions ne peuvent être que l’effet des vibrations imprimées à nos sens par des forces inhérentes à la substance sensible, — et cette métaphysique-là, dont ils n’ont pas conscience, est seule ce qui les mène à croire que par la science physique ils peuvent arriver à des connaissances positives indépendantes de toute métaphysique.


V

J’espère que je n’ai pas trop à m’excuser d’avoir si longuement analysé ce qui est pour nous plus inconnu, plus inconnaissable surtout, que les religions dont nous n’avons jamais entendu parler, — à savoir les idées religieuses qui nous ont formés nous-mêmes, et celles de nos voisins, que les habitudes d’esprit enfantées par notre éducation nous rendent aussi antipathiques qu’incompréhensibles. Beaucoup considèrent ces croyances comme les restes d’un passé qui s’en va ; mais les théologies les plus mortes, les théologies de l’Assyrie, de la Perse, de l’Égypte, — sans parler de celles des sauvages, — sont l’idée fixe de notre époque. Je ne rencontre que des traités sur les mythologies comparées, que des ouvrages sur les contes de fées qui sont les revenans des religions éteintes, et en vérité nos livres d’histoire eux-mêmes, nos études sur les législations, les langues, les littératures, ne sont encore qu’autant de tentatives pour saisir sous toutes ces choses les théologies qui les ont engendrées. Notre époque a entrevu ce que le XVIIIe siècle ne soupçonnait pas. Lui, il était naïf, il prenait ses propres idées