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à l’infidèle, mais quand elle le revit, la parole s’arrêta sur ses lèvres, tant son cœur était oppressé, elle eût voulu crier et ne le put, ses lèvres remuèrent sans qu’un son en sortît : — Où as-tu été si longtemps ? — Voilà tout ce qu’elle put dire, et Baruch ne jugea pas nécessaire de lui répondre.

Au milieu de la nuit, elle poussa en dormant une exclamation déchirante.

— Qu’est-ce que tu dis ? demanda Baruch.

— Ai-je dit quelque chose ? C’était donc le chagrin qui parlait en moi.


V.


Le jour des expiations, Chaike dit à son mari : — N’iras-tu pas à la synagogue ? Si tu y vas, je te donnerai un cierge que j’ai acheté sur mes épargnes.

Baruch ôta ses souliers, revêtit la chemise funèbre et le bonnet blanc, se rendit à la synagogue et alluma son cierge pour le mettre auprès de l’arche d’alliance.

Lorsque les autres l’aperçurent, ils se détournèrent ; sans en tenir compte, Baruch alla tranquillement prier à l’écart. Tout à coup il entendit murmurer derrière lui : — Dieu l’a réprouvé ! — et, jetant un regard rapide sur l’arche d’alliance, vit que tous les cierges brûlaient, sauf le sien, qui venait de s’éteindre. La colère le saisit, il prit le cierge, le jeta sur le sol avec violence, puis il quitta la synagogue : — Son cierge s’est éteint, mauvais présage ! murmura son beau-frère. — Les autres se disaient entre eux : — Il a brisé son cierge, il blasphème.

Baruch cependant courut jusque chez lui comme un enragé, lança de tous côtés le talar, le bonnet, la chemise de mort, et s’habilla pour sortir.

— Juste Dieu ! que veux-tu faire ? s’écria Chaike. Y penses-tu  ? Le jour de la réconciliation !

— Crois-tu que j’ignore la loi ? dit Baruch tremblant de rage. Il est écrit : Le dixième jour du septième mois, vous devez tourmenter et macérer votre corps. Chaque Juif aujourd’hui jeûne et prie dans la synagogue, il ne touche aucune femme et ne porte point de souliers ; mais il n’est pas dit qu’on doive exercer la méchanceté contre son prochain. Ils ont soufflé mon cierge et crient maintenant : Dieu l’a réprouvé ! — Qu’il en soit donc ainsi ! Puisque je suis réprouvé, je veux l’être tout à fait ! — Et il s’échappa.

En revenant de la synagogue et en passant devant un cabaret, le boucher, voisin de Baruch, entendit de la musique et des chan-