Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 11.djvu/397

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sage d’établir le nouveau régime, et jamais on ne vit tant d’inexpérience unie à de si vifs désirs de reformes.

L’exil du parlement, regardé par les historiens comme le premier acte de la révolution, amenait à Troyes, au mois d’août 1787, tous ces magistrats de Paris que leur résistance à l’autorité royale décorait d’une popularité passagère. Troyes ne possédait que des tribunaux inférieurs, un bailliage et une prévôté pour les causes civiles ou criminelles, une élection pour les affaires de finances, une maîtrise des eaux et forêts, un tribunal du point d’honneur pour les différends qui s’élevaient entre les membres de la noblesse, sans compter les innombrables justices seigneuriales que l’on retrouvait en chaque commune et presqu’en chaque faubourg. Bien que ces juridictions multiples dussent avoir quelque peine à vivre d’accord en temps ordinaire, elles s’entendirent à merveille pour faire honneur au parlement exilé. Tant de familles possédaient des charges judiciaires plus ou moins importantes que le respect de la magistrature était très développé. D’ailleurs le parlement de Paris, disgracié pour avoir refusé d’enregistrer de nouveaux impôts, était soutenu par l’opinion publique. Aussi reçut-il l’accueil le plus chaleureux. Tous les corps organisés s’empressèrent de lui tenir des discours où l’on approuvait sa résistance, en ayant bien soin de louer le roi et de blâmer les ministres, car c’était à ceux-ci seulement que s’en prenaient les divers orateurs. On ne sait pas assez ce que fit la première cour du royaume pendant son séjour à Troyes. Entendre des allocutions et y répondre, telle fut toute son œuvre. Cette manifestation parlementaire en laquelle la France mettait alors son espoir fut aussi vaine par la forme qu’inutile au fond. Le parlement montra dans cette occasion solennelle que le droit de remontrance dont il était si fier était un contre-poids insuffisant contre les abus de l’autorité royale.

Les discours que les autorités civiles ou judiciaires et les corporations adressèrent au parlement, soit à son arrivée, soit au moment de son départ, ne révèlent rien non plus des vœux et des aspirations du pays, dont on retrouve au contraire l’expression vivace dans les cahiers de 1789. Sur l’ordre du roi, le bailliage avait convoqué le 20 mars les trois états pour élire les députés et dresser les cahiers de leurs plaintes, doléances ou remontrances. L’assemblée de la noblesse fut peu nombreuse : 84 membres y assistaient, sous la présidence du comte de Mesgrigny-Villeberlain, ancien maire de Troyes, qui portait le titre honorifique de grand-bailli d’épée. A côté des petits nobles du pays, habitués à la vie paisible de province, figuraient quelques-uns des grands noms de France, le duc d’Aumont, le duc de Larochefoucauld-Liancourt, le marquis de Crillon ; ces derniers, initiés aux idées de l’époque, philosophes et