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ni dignité, ni charge, ni emploi qui donne ce droit ; on ne peut l’être que par voie d’élection. »

L’étude des cahiers que fournirent les communes et les corporations ne donne pas une mauvaise impression de ce qu’était le tiers-état à cette époque ; on en conclurait plutôt que la nation était mûre pour un gouvernement plus libéral. Si les vœux politiques sont le plus souvent copiés sur des formules, il n’en est pas de même des réclamations locales qui en sont le principal intérêt. Dans les villes, les corporations réclament avec énergie le maintien des privilèges qu’elles possèdent ; ce sont les maîtres de chaque métier qui parlent en leur nom, tandis que les compagnons invoquent la liberté du travail. Les uns et les autres s’entendent à merveille pour protester contre l’introduction des mécaniques : ils demandent aussi que le travail industriel soit interdit, dans les campagnes ; cette fois c’est bien l’intérêt personnel qui se fait entendre. Les bourgeois jansénistes n’ont pas à s’occuper ; de ces querelles de métier, ils supplient les états-généraux de déclarer non avenue la bulle Unigenitus. En résume, à part quelques hérésies économiques, les cahiers du tiers-état s’inspirent d’idées sages et modérées ; il s’y manifeste presque toujours des sentimens de respect et de dévoûment pour la royauté qui paraissent sincères. Rien n’y fait prévoir les excès auxquels la révolution se livra plus tard.

Toutefois au jour de l’élection les suffrages des représentans des villes et des campagnes ne se portèrent sur aucune des notabilités de l’ancien régime ; ils dédaignèrent les conseillers au bailliage et les échevins du corps municipal de Troyes aussi bien que les petits fonctionnaires. Des, quatre députés élus, deux étaient des avocats de petite ville ; le troisième était un négociant d’Arcis, Jeannet, oncle de Danton. Le quatrième devait, en vertu d’un règlement royal, appartenir à la ville de Troyes. Les électeurs choisirent Camusat de Belombre, un négociant, juge-consul, c’est-à-dire membre d’une magistrature que les autres juridictions traitaient avec dédain.

Au reste toutes ces discussions des cahiers et ces opérations électorales, qui occupèrent le mois de mars et une partie du mois d’avril 1789, s’accomplirent avec l’ordre le plus parfait. Il parut tout le temps que les trois ordres étaient disposés à marcher d’accord. En Champagne, — sans doute il en était de même ailleurs, — la nation était animée d’un souille généreux ; on pouvait croire que les Sacrifices auxquels les privilégiés se résignaient d’avance seraient suffisans pour maintenir la concorde ; mais nous, qui voyons ces événemens à distance, nous discernons bien que la nation, pour la première fois qu’elle parlait, dans l’énoncé de ses vœux et dans le choix de ses députés faisait table rase des institutions du passé.

Ces événemens s’accomplissaient dans des circonstances