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d’autant plus grave en un pareil temps, que les autorités supérieures au corps municipal étaient en complet désarroi, et que celui-ci devait éprouver par conséquent une vive tentation d’outrepasser la limite de ses pouvoirs.

Quatre mois après, le moment arrivait d’organiser la France en départemens suivant les décrets de l’assemblée nationale. Les intendans et leurs subdélégués disparaissaient sans être regrettés, car l’opinion publique, injuste à leur égard, oubliait les services que la plupart avaient rendus pour ne se souvenir que de les avoir vus l’instrument d’un pouvoir despotique. La circonscription départementale de Troyes était taillée dans les anciennes généralités de Châlons-sur-Marne, de Dijon et de Paris, sans autre motif en apparence que d’arrondir le territoire autour du chef-lieu. Remarquons en passant que cette division administrative par département, par une exception singulière, n’a pas été touchée depuis quatre-vingts ans. Trois commissaires du roi avaient mission de présider à l’installation des nouvelles autorités ; c’étaient trois hommes du pays : le comte de Mesgrigny, grand-bailli d’épée, que l’on a vu d’abord présider l’assemblée de la noblesse, Pavée de Vendeuvre, conseiller à la cour des aides, un partisan des réformes, qui joua plus tard un rôle honorable dans les assemblées politiques, et enfin Beugnot, qu’un mérite peu commun commençait à mettre en relief. La municipalité de Troyes, organe des idées avancées, déclara tout d’abord que ces commissaires, porteurs d’ordres ministériels, ne pourraient que gêner la liberté des électeurs. En réalité, ils firent peu de besogne. Beugnot, qui voulait se faire une place dans l’administration départementale, se mêla de donner des conseils aux électeurs, conseils fort honnêtes d’ailleurs. Cela lui réussit ; il fut nommé procureur-général-syndic. Les électeurs avaient à désigner trente-six administrateurs pour le département entier, et en outre dans chaque district, — on dit aujourd’hui arrondissement ; — douze autres administrateurs. Il est à noter que l’élection était à deux degrés. Les choix furent en vérité très sages pour une population qui avait si peu l’habitude du suffrage universel. Sur les trente-six administrateurs du département, on comptait quinze avocats, ce qui était trop peut-être ; il y avait en outre d’anciens officiers des élections ou des tribunaux, personnages expérimentés en affaires ; le comte de Dampierre en était aussi, parce qu’il plaisait à tout le monde, aux uns par son origine aristocratique, aux autres par la fougue de ses idées révolutionnaires. Chaque assemblée nommait dans son sein un directoire chargé des attributions du pouvoir exécutif. Dampierre eut tout à la fois la présidence de l’assemblée et du directoire du département, fonction administrative encore plus qu’honorifique qui ne lui allait guère ; il en convint