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une situation où les deux plénipotentiaires des deux pays s’étaient surpassés en miracles de la vraie foi punique. « M. de Bismarck et le général Govone se défiaient et se défient encore l’un de l’autre, avait écrit M. Benedetti dans sa dépêche du 27 mars 1866. On craint à Florence que, se trouvant en possession d’un acte qui mettrait en quelque sorte l’Italie à sa discrétion, la Prusse n’en fasse connaître les dispositions à Vienne et ne détermine le cabinet autrichien, en l’intimidant, à lui faire pacifiquement les concessions qu’elle convoite. A Berlin, on craint que l’Italie, si on s’engage à négocier sur ces bases, n’en informe directement l’Autriche avant de rien conclure, et n’essaie ainsi d’en obtenir l’abandon de la Vénétie… » Après une pareille expérience in anima vili, comment M. Benedetti a-t-il pu laisser sur la table du président du conseil de Berlin son autographe compromettant au sujet de la Belgique, un acte qui mettait en quelque sorte la France à la discrétion de la Prusse ? Comment aussi s’étonna-t-il de voir son interlocuteur « accessible à certains calculs de suspicion, » et ne fit-il pas au contraire les mêmes calculs pour son propre compte et profit ? Il était cependant bien simple de supposer à M. de Bismarck la volonté de faire aux autres ce qu’il déclarait ne pas vouloir que d’autres lui fissent ! Et l’ambassadeur de France ne se serait guère trompé en prêtant à son interlocuteur cette pensée charitable, quoique peu évangélique, car le plaisant ou plutôt le triste de l’affaire, — le vrai humour de tout cet imbroglio, comme dirait le Bardolphe de Shakspeare, — c’est que le chevalier de la Marche avait précisément déjà exécuté la manœuvre, médiocrement chevaleresque à coup sûr, dont il se donnait l’air de soupçonner Napoléon III, et que le tour était fait au moment où il demandait si l’on n’avait rien dans les mains et les poches. On avait laissé entre ses mains deux documens bien secrets et bien dangereux, les deux projets de traité sur le Rhin et la Belgique[1], et il n’eut garde de ne pas s’en servir aussitôt auprès des parties intéressées et qu’il avait tout intérêt à s’attacher…

Les préliminaires de Nikolsbourg, on se le rappelle, avaient stipulé que les états du sud resteraient en dehors de la nouvelle confédération dirigée par la Prusse, et qu’ils pourraient former entre eux une union restreinte. C’était là le grand succès obtenu

  1. Les deux projets de traité ont été publiés depuis par les journaux prussiens du 20 juillet et du 8 août 1870. Le gouvernement prussien est maintenant en possession de deux autographes français du projet sur la Belgique : l’un que M. Benedetti a laissé chez M. de Bismarck au mois d’août 1866, l’autre, également de la main de M. Benedetti, avec des notes marginales de Napoléon III et de M. Rouher ; ce dernier document a été saisi à Cerçay. Pour la description et les autres détails, voyez le Moniteur prussien du 21 octobre 1811 et l’article de la Gazette de l’Allemagne du Nord au sujet de l’incident La Marmora.