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les inondations de la garonne.

établissement thermal de premier ordre. Malheureusement l’altitude, qui rappelle celle de Cauterets, la distance des grandes voies de communication, et par-dessus tout l’aspect sauvage du site en éloigneront toujours les malades et les touristes habitués à contempler des collines verdoyantes et désireux avant tout de confortable. Aussi la clientèle de Carcanières se recrute-t-elle seulement dans les localités environnantes. On dirait que dans un jour de convulsion la montagne s’est ouverte pour ouvrir passage à cette gorge. Au fond, sur la ligne de séparation des départemens de l’Aude et de l’Ariége, sautille un gave à travers les rochers qui jonchent le sol du ravin comme autant de traces des phénomènes géologiques accumulés par les siècles dans ces hautes régions : dépôts des anciens glaciers, tremblemens de terre, avalanches du printemps, orages d’été presque toujours redoutables sur ces pentes granitiques et abruptes. Ce gave est l’Aude. Ce mince filet d’eau aux allures si modestes peut en quelques heures se transformer en un torrent dévastateur. La gorge que je viens de décrire se continue en effet avec maints contours, en amont jusqu’aux hautes cimes où le gave prend naissance, en aval jusqu’au point où il sort des montagnes pour déboucher dans la plaine. À Pierrefitte, au-dessous de Carcanières, le ravin prend parfois des proportions qui rappellent les sites les plus sauvages des Pyrénées ou des Alpes. Ce sont des précipices insondables qu’on a sous les pieds. Le voyageur qui, de la route tracée sur l’escarpement, jette ses yeux sur les entonnoirs est saisi de vertige. Qu’une trombe s’abatte sur ces pentes abruptes, et l’eau, n’étant arrêtée par aucun obstacle, se précipite avec la rapidité de la chute des graves, et l’on voit bientôt surgir un fleuve dont la course enfiévrée se révèle au loin par des mugissemens gros de menaces et de dévastation. C’est ce qui arriva à la suite des pluies torrentielles du 22 juin. Le lendemain, l’Aude débordait dans la plaine, ravageant les propriétés qui formaient ses deux rives. Jusqu’alors on n’avait vu charrier que des arbres arrachés aux flancs des montagnes ou les ponts de bois que le torrent avait rencontrés sur son passage. À partir de ce moment, les épaves changèrent de nature. Les prairies avaient été fauchées, sur beaucoup de points on avait commencé la moisson. Des meules de foin, des gerbes de seigle ou de blé ne tardèrent pas à se mêler aux autres débris.

Toutefois ce n’étaient encore que des prodromes sans grande importance. À Limoux, grâce aux précautions prises, on n’eut aucun désastre à déplorer. Les dévastations proprement dites ne commencèrent qu’à Carcassonne, où les eaux atteignaient, dans la matinée du 23, une hauteur de 5m,50. La partie basse de la ville fut rapidement envahie, les soldats du 15e de ligne se virent forcés d’évacuer