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du Tarn fut entièrement dévasté par les eaux de cette rivière, que la Garonne avait refoulées ; un autre quartier aurait eu le même sort si le sous-préfet n’avait fait rompre en amont de la ville les digues qui retenaient le canal latéral, et déverser ainsi dans le lit du Tarn le trop-plein des eaux venues de la Garonne. Parmi les localités environnantes également dévastées, citons seulement La Magistère, qui perdit plus de 100 maisons, et Saint-Nicolas-de-la-Grave, qui eut le même sort que Golfech. Plus de 1,600 habitations furent détruites dans ce seul département, 116 personnes y perdirent la vie, et 4,000 familles se trouvèrent dans le dénûment.

Du Tarn-et-Garonne, l’immense lave, grossie du Tarn et un peu plus loin du Gers ainsi que d’autres affluens moins importans, continua de s’avancer sur la rive droite dans la direction d’Agen. À quelque distance en amont de cette ville, elle se trouva arrêtée toute la journée du 24 par la levée du chemin de fer de la ligne d’Auch à Agen. Un viaduc de vingt et une arches offrait, il est vrai, une issue, mais beaucoup trop insuffisante pour les masses d’eau qui s’accumulaient depuis la veille. Ce barrage fut rompu vers quatre heures du soir, et l’avalanche liquide, se précipitant à l’assaut de la malheureuse cité, aurait renouvelé l’épouvantable drame du faubourg Saint-Cyprien, si les constructions n’eussent été plus solidement bâties, et si une partie de la ville ne se fût trouvée par son élévation au-dessus de l’atteinte des flots. Une heure après, l’eau inondait les quartiers les plus riches et les plus populeux. Le séminaire et la caserne furent bientôt envahis ; la violence du courant était telle que ni les élèves ni les soldats n’eurent le temps de prendre la fuite. On fut obligé de venir les chercher par les fenêtres avec des barques.

Dès midi, les autorités avaient été prévenues, par des dépêches venues de Toulouse, que la crue allait toujours en grossissant et qu’elle atteindrait bientôt une hauteur de 12 mètres. Aussitôt les gendarmes avaient parcouru la ville à cheval, prévenant les habitans. Personne ne bougea. C’était toujours le même mirage, le souvenir de l’inondation de 1855, de l’avis de tous, la plus extraordinaire qui pût se produire, et qui n’avait amené aucun des désastres qu’on prophétisait. L’eau ne cessa de monter jusqu’à dix heures du soir, où elle atteignait 11m,70 au-dessus de l’étiage. C’était 1m,50 de plus que l’inondation de 1770, la plus grande dont on ait gardé le souvenir. La partie de la ville qui longe le fleuve, et qui est habitée principalement par des familles de pêcheurs, eut particulièrement à souffrir. L’arrivée subite des eaux ayant empêché ces pauvres gens de fuir, ils durent se réfugier sur les toits, implorant un secours qui ne venait pas, car le temps, peut-être aussi les moyens d’action, avaient manqué pour organiser le sauvetage sur une grande