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n’est-il que raison, et encore raison abstraite, éteinte pour ainsi dire, sans rayonnemens, sans activité ni chaleur ? Trouvez-vous dans ce rhythme glacé de l’infini, du fini, de leur rapport, quelque chose qui ressemble à ces forces nombreuses, complexes et vivantes, instincts, désirs, passions, sentimens, idées encore confuses et enveloppées de sensibilité qui, par leur expansion dans les directions les plus diverses, par leur indéfectible énergie, portent sans cesse l’humanité en avant vers le mieux ?

Et les faits, que disent-ils ? Ils disent qu’en ce qui regarde l’antique Orient la formule de Cousin ne convient guère qu’à l’Inde brahmanique. Quant aux Aryas qui firent la conquête de l’Inde, les Védas sont là pour attester qu’ils eurent un sens très vif de la réalité et de la pratique, un goût très décidé pour les biens de ce monde, une vigueur et une santé morales tout à fait inexplicables dans la période de l’infini. Il est probable que les rudes et barbares populations qu’ils dépossédèrent furent de même : les peuples primitifs, en général, sont fort peu absorbés, comme le voudrait la théorie de Cousin, dans la contemplation de l’infini et de l’unité absolue. Et la Chine ? quel génie fut plus étranger que le sien à de pareilles spéculations ? Athéisme, matérialisme, préoccupation exclusive du fini, des avantages terrestres, des plaisirs des sens, voilà le fond du caractère et de l’esprit chinois. Faut-il rappeler encore cette énergique tendance à l’action, cet indomptable sentiment de la personnalité, de la liberté, de la responsabilité, qui d’un bout à l’autre de son histoire distinguent le peuple hébreu, et forment un si vigoureux contraste avec cette passivité fataliste et mystique, dans laquelle Cousin engourdit uniformément toutes les nations de l’Orient ? — Autre difficulté : la période du fini succède à celle de l’infini ; mais quand ? — C’est, répond Cousin, lorsque l’infini a été épuisé dans toutes les directions. — L’infini qui s’épuise, et qui s’épuise dans toutes les directions, quelle contradiction dans les termes !

Il serait oiseux de poursuivre cette réfutation : elle est, chez M. Flint, abondante et décisive, et n’exclut pas d’ailleurs une profonde admiration pour le chef de l’école éclectique française. Non moins intéressante est la critique de cette autre prétendue loi, également spécieuse, également célèbre, que l’humanité se développe comme un organisme vivant.

L’analogie entre l’idée de l’évolution organique et celle du progrès humain ne pouvait manquer d’attirer l’attention des penseurs. Mise en lumière par Schelling, elle inspira dans l’ordre des études juridiques Savigny et toute son école ; mais ce fut Krause qui le premier tenta d’en donner une démonstration rigoureuse et complète. On