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vénérées en France, étaient considérées à Rome comme un attentat à l’autorité du souverain pontife, et quand le parlement faisait brûler les livres qui pouvaient leur porter atteinte, le sacré-collège déclarait ces mêmes livres inspirés par le Saint-Esprit. Il y avait là une cause permanente de rupture, et cette cause n’était pas la seule. Charles VIII, Louis XII, François Ier, avaient rencontré en Italie, les papes dans les rangs de leurs adversaires. Leur habile diplomatie les avait vaincus plus d’une fois. La France avait contre eux les mêmes griefs que l’Allemagne et l’Angleterre, les mêmes motifs de séparation. Comment cette séparation ne s’est-elle pas produite comme dans les autres états du nord de l’Europe ? Comment nos rois, tout en luttant avec tant d’opiniâtreté contre les papes[1], sont-ils restés papistes ?


III

L’entente des ambitions et des intérêts avait scellé, nous l’avons vu, le pacte de Charlemagne, et c’est cette même entente, fortifiée par le caractère sacerdotal de la royauté française, qui à toutes les époques, y compris le XVIIe siècle, a prévenu les scissions définitives. Les deux pouvoirs s’arrêtaient juste à la limite extrême au-delà de laquelle elles pouvaient éclater, car ils avaient tous deux un égal besoin l’un de l’autre. Ils reposaient sur le même principe, celui de la délégation divine, et ce principe, dans aucune des monarchies de l’Europe, ne s’était affirmé avec plus d’autorité que dans la monarchie capétienne.

Menacés tour à tour par les empereurs d’Allemagne et les ligues italiennes, comme ils l’avaient été aux VIIIe et IXe siècles par les empereurs de Byzance et les Lombards, les papes avaient intérêt à se rapprocher des rois de France, chefs d’un grand état militaire, voisin de l’Italie et de l’Allemagne, et qui pouvait les servir utilement par sa médiation ou par ses armes. Les rois de leur côté avaient intérêt à conserver le titre de fils aînés de l’église, qui leur donnait la première place parmi les princes de la catholicité, et rehaussait leur prestige aux yeux de leurs sujets. Ils avaient en outre des prétentions au titre d’empereurs d’Allemagne, des revendications dynastiques à faire valoir sur diverses principautés de l’Italie, et, s’ils refusaient au saint-siège le droit de les déposer et de disposer de leur couronne, ils admettaient sans difficulté qu’il était libre de disposer à leur profit de la couronne des autres princes.

  1. Voyez Recueil des querelles qui ont été entre les papes et les rois de France, Bibliothèque nationale, mss., fonds Colbert, vol. 155, fol. 302 et suiv.