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Les deux pouvoirs, en rompant les liens qui les unissaient, se seraient affaiblis l’un et l’autre, ils se ménageaient tout en se combattant, et les réconciliations suivaient de près les ruptures.

Les papes excommuniaient les rois, mais ils tenaient toujours l’absolution en réserve. Ils lançaient l’anathème contre Philippe-Auguste, et légitimaient les enfans d’Agnès de Méranie. Ils se proclamaient les défenseurs de la morale universelle et fermaient les yeux sur les adultères publiquement affichés des derniers Valois et des Bourbons, parce qu’ils se rappelaient que les femmes les avaient brouillés avec l’Angleterre, et qu’ils ne voulaient point perdre à propos d’une maîtresse royale le royaume de France, lorsqu’ils en avaient déjà perdu tant d’autres. Ils ne voyaient dans les libertés gallicanes que des hérésies et même des impiétés ; mais ils se contentaient de les condamner dans les livres et les sermons où elles se produisaient comme des opinions individuelles, et se gardaient bien de les attaquer comme lois fondamentales de la monarchie. Ils interdisaient aux rois de lever des contributions sur les gens d’église, et ils ratifiaient les ordonnances relatives à l’altération des monnaies. Lorsqu’ils écrivaient aux rois de France, ils leur prodiguaient toutes les caresses du langage[1]. Ils les tenaient, disaient-ils, en plus grande affection que les autres princes, ils ne cessaient de prier pour eux, pour leurs femmes, leurs enfans et leurs sujets. Comme gages de leur attachement, ils leur envoyaient des présens qui portaient avec eux la sanctification, tels que langes bénits, lambeaux de la robe de saint Pierre, ossemens des apôtres, voile de la Vierge, fragmens de la vraie croix ou de la couronne d’épines[2]. A défaut de reliques, ils leur donnaient des royaumes, des royaumes de vent, comme on disait au moyen âge, et leur octroyaient des privilèges qui semblaient créer pour la dynastie capétienne un catholicisme spécial.

En vertu des bulles, les Capétiens pouvaient avoir un autel portatif, se faire dire la messe avant le jour ou après midi, entrer avec leur suite et leurs fils aînés dans les monastères de femmes, ordonner que leurs corps seraient disséqués ou enterrés par morceaux dans des endroits différens, ce qui était contraire à l’esprit de l’église, qui voulait que les corps des fidèles fussent conservés dans leur entier en vue de la résurrection. Ces avantages, si grands qu’ils fussent pour des princes catholiques, n’étaient rien en comparaison

  1. Bulle de 1482, Bibliothèque nationale, mss., collect. Dupuy, vol. 706, fol. 800.
  2. Ces présens de reliques ont eu au moyen âge une grande importance politique, parce que les états qui possédaient les plus précieuses, celles du Christ, de la Vierge et des apôtres, étaient regardés comme placés sous la sauvegarde même de Dieu et honorés par lui d’une protection toute particulière.