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M. de Bismarck engagea-t-il sa première campagne contre l’Autriche au sujet des duchés, et fit-il ses premières démarches à Florence pour combiner une entente avec l’Italie. Le connubio ne fut définitivement consommé qu’en avril 1866, sous les yeux de M. Benedetti.

Personne que nous sachions (et nous moins que personne) n’a reproché à M. Benedetti d’avoir favorisé ce connubio à l’insu de son gouvernement ; mais M. Benedetti ne prétendra pas sans doute que cette entente entre l’Italie et la Prusse n’eût pas eu toutes ses sympathies. Le général Govone n’avait pas d’épanchemens pour lui à Berlin, soit ; c’est M. Benedetti au contraire qui a fait au négociateur italien des confidences précieuses, celle entre autres « que M. de Bismarck était une espèce de maniaque, que lui (Benedetti) connaissait et suivait depuis tantôt quinze ans[1]. » Il lui avait conseillé aussi « de ne signer aucun traité, mais seulement d’avoir un projet tout discuté et prêt à signer quand la mobilisation de la Prusse serait achevée. » M. Benedetti chercherait-il à persuader que par cet avis il eût voulu empêcher le connubio ? Non, assurément, par un pareil avis M. Benedetti disait au général Govone de n’agir qu’à bon escient. C’était un bon conseil qu’il lui donnait ; or on ne donne pas de bons conseils pour une affaire qu’on voudrait voir échouer. D’ailleurs ce n’étaient point les Italiens qu’il s’agissait de faire pencher pour le connubio, ils y inclinaient tout naturellement ; l’important, c’était d’y gagner la cour de Berlin, de triompher de ses scrupules, de la rassurer surtout quant aux intentions de la France. « Je crois devoir vous prévenir, télégraphiait le 28 mars le négociateur italien au général La Marmora, que le président (M. de Bismarck) tient exactement au courant M. Benedetti[2]. » M. de Bismarck n’eût certes point pensé à tenir M. Benedetti si exactement au courant, s’il lui avait supposé de l’aversion ou seulement de la tiédeur pour le mariage italien. Alors comme depuis, en France comme à l’étranger, aux yeux des publicistes comme aux yeux de ses propres chefs (ainsi que nous allons l’établir tout de suite), l’ancien ambassadeur de France près la cour de Berlin a toujours passé pour l’agent du gouvernement impérial qui a fait les vœux les plus ardens pour la réussite de la combinaison italo-prussienne, et le livre Ma Mission en Prusse n’est parvenu à ébranler en rien une conviction que nous ne craignons pas d’appeler générale.

Nous n’aurions jamais songé à faire intervenir dans un débat aussi important notre obscure personne et nos humbles écrits ; mais, puisque M. Benedetti a bien voulu reconnaître dans des travaux précédemment publiés par nous dans la Revue des Deux Mondes « des études mieux préparées et plus impartialement écrites, » nous éprouvons moins

  1. « Del conte Bismarck dice (M. de Benedetti) che è an diplomatico, per cosi dire maniaco ; che da quindici anni che lo conosce e lo segue… » Rapport du général Govone du 6 avril 1866. La Marmora, p. 139.
  2. La Marmora, p. 110.