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d’hésitation à invoquer une des pages que nous avons consacrées ici même il y a déjà sept ans à cet épisode pathétique de l’histoire contemporaine. Parlant dans nos Préliminaires de Sadowa du traité négocié entre M. de Bismarck et le général Govone au printemps de 1866, nous nous sommes exprimé ainsi : « Il n’y avait qu’un esprit fort comme M. de Bismarck pour faire pacte avec ce messager du royaume maudit qu’assistait son collègue le comte de Barral ; dans le fond apparaissait de temps en temps M. Benedetti. A cet endroit, on tend involontairement la main vers tel volume de Machiavel : on est pris de l’envie de relire un chapitre des Legazioni. Qu’il eût été heureux, le grand Florentin, de contempler ses trois compatriotes aux prises avec un barbare ! .. A Paris, on ne vit (dans ce traité) que le fait unique, prodigieux, d’un pacte conclu entre un monarque par la grâce de Dieu et un roi de la volonté nationale, et l’on s’extasia sur l’habileté de M. Benedetti : il n’y avait qu’un diplomate de la nouvelle école pour opérer un pareil miracle ! » Enfin au commencement de la même étude, en racontant les circonstances qui en 1864 avaient ramené sur la scène politique les anciens disgraciés de l’incident Durando, nous disions : « Il en coûta sans doute à M. Drouyn de Lhuys d’accepter pour collègue M. de La Valette, qui ne faisait pas mystère de son envie de lui prendre son département ; il lui en coûta encore plus probablement de se laisser imposer comme agent principal un adversaire aussi déclaré que M. Benedetti. Deux ans plus tard, après Sadowa, et le jour où il abandonnait son portefeuille, le même ministre devait encore contre-signer un autre décret qui élevait M. Benedetti à la dignité de grand-croix. Qui sait cependant si, dans la pensée de M. Drouyn de Lhuys, cette seconde signature n’était pas destinée à le venger quelque peu de la première ? En effet, ce fut peut-être un trait d’esprit, un trait de Parthe, de distinguer si hautement un agent pour n’avoir que trop bien servi une politique dont pour soi-même on répudiait non moins hautement la responsabilité[1]. »

Les anciens chefs de l’ex-ambassadeur de France à la cour de Berlin en jugèrent-ils autrement ? M. Benedetti lui-même nous fournit à cet égard un témoignage précieux et que nous n’aurons garde de négliger. Il raconte (Ma Mission, p. 148) qu’en janvier 1870 M. le comte Daru, alors ministre des affaires étrangères, »avait fait dans une lettre allusion aux événemens de 1866 dans des termes qui ne laissèrent pas de vivement affecter l’ambassadeur : « L’état territorial de la Prusse, lui avait écrit M. Daru, résulte d’événemens qu’il n’a peut-être pas dépendu de vous de conjurer… » Ainsi, quatre ans encore après Sadowa, on ne cessait d’attribuer à M. Benedetti, aux bureaux du quai d’Orsay, une part notable dans ces funestes événemens. L’ambassadeur trouva opportun d’éclairer son nouveau chef sur « le rôle qu’il a joué en cette

  1. Voyez la Revue du 15 septembre et du 1er octobre 1868.