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pas de ce côté-là qu’il pouvait songer à trouver une condition meilleure que la sienne.

Au bout de la semaine, la Catiche arriva à l’heure ordinaire. Elle revenait de Cernas, et il lui demanda des nouvelles de sa tante pour voir si cette vieille aurait le pouvoir et la volonté de lui répondre comme la dernière fois. Elle répondit très nettement : — La grand’Nanette, est remariée, et, si tu retournes chez elle, elle tâchera de te faire mourir pour se débarrasser de toi.

— Parlez-vous raisonnablement ? dit Emmi, et me dites-vous la vérité ?

— Je te dis la vérité. Tu n’as plus qu’à te rendre à ton maître pour vivre avec les cochons, ou à chercher ton pain avec moi, ce qui te vaudrait mieux que tu ne penses. Tu ne pourras pas toujours vivre dans la forêt. Elle est vendue, et sans doute on va abattre les vieux arbres. Ton chêne y passera comme les autres. Crois-moi, petit. On ne peut vivre nulle part sans gagner de l’argent. Viens avec moi, tu m’aideras à en gagner beaucoup, et quand je mourrai je te laisserai celui que j’ai.

Emmi était si étonné d’entendre causer et raisonner l’idiote qu’il regarda son arbre et prêta l’oreille comme s’il lui demandait conseil.

— Laisse donc cette vieille bûche tranquille, reprit la Catiche. Ne sois pas si sot et viens avec moi.

Comme l’arbre ne disait mot, Emmi suivit la vieille, qui, chemin faisant, lui révéla son secret.

— Je suis venue au inonde loin d’ici, pauvre comme toi et orpheline. J’ai été élevée dans la misère et les coups. J’ai gardé aussi les cochons, et, comme toi, j’en avais peur. Comme toi, je me suis sauvée, mais, en traversant une rivière sur un vieux pont décrépit, je suis tombée à l’eau dont on m’a retirée comme morte. Un bon mé decin chez qui on m’a portée m’a fait revenu’à la vie ; mais j’étai idiote, sourde, et ne pouvant presque plus parler. Il m’a gardée par charité, et, comme il n’était pas riche, le curé de l’endroit a fait des quêtes pour moi, et les dames m’ont apporté des habits, du vin, des douceurs, tout ce qu’il me fallait. Je commençais à me porter mieux, j’étais si bien soignée ! Je mangeais de la bonne viande, je buvais du vin sucré, j’avais l’hiver du feu dans ma chambre, j’étais comme une princesse, et le médecin était content. Il disait : — La voilà qui entend ce qu’on lui dit. Elle retrouve les mots pour parler. Dans deux ou trois mois d’ici, elle pourra travailler et gagner honnêtement sa vie, — et toutes les belles dames se disputaient à qui me prendrait chez elle.

Je ne fus donc pas embarrassée pour trouver une place aussitôt que je fus guérie ; mais je n’avais pas le goût du travail, et on ne fut pas content de moi. J’aurais voulu être liUe de chambre, mais je ne