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fidèle, et l’autre l’écouta en souriant, un peu étonné de son idée, mais porté à le croire et à le comprendre. Il le suivit jusque-là et voulut voir sa cachette. Il eut de la peine à grimper assez haut pour l’apercevoir. Il était encore agile et fort, mais le passage entre les branches était trop étroit pour lui. Emmi seul pouvait se glisser partout.

— C’est bien et c’est gentil, dit le bonhomme en redescendant ; mais tu ne pourras pas coucher là longtemps, l’écorce en grossissant et en se roulant finira par boucher l’ouverture, et toi, tu ne seras pas toujours mince comme un fétu. Après ça, si tu y tiens, on peut élargir la fente avec une serpe ; je te ferai cet ouvrage-là, si tu le souhaites.

— Oh non ! s’écria Emmi, tailler dans mon chêne ! pour le faire mourir !

— Il ne mourra pas ; un arbre bien taillé dans ses parties malades ne s’en porte que mieux.

— Eh bien ! nous verrons plus tard, répondit Emmi ; ils se souhaitèrent la bonne nuit et se séparèrent.

Comme Emmi se trouva heureux de reprendre possession de son gîte ! Il lui semblait l’avoir quitté depuis un an. Il pensait à l’affreuse nuit qu’il avait passée chez la Catiche et faisait maintenant des réflexions très justes sur la différence des goûts et le choix des habitudes. Il pensait à tous ces gueux d’Oursines-les-Bois, qui se croyaient riches parce qu’ils cachaient des louis d’or dans leurs paillasses et qui vivaient dans la honte et l’infection, tandis que lui tout seul, sans mendier, il avait dormi plus d’une année dans un palais de feuillage, au parfum des violettes et des mélittes, au chant des rossignols et des fauyettes, sans souffrir de rien, sans être humilié par personne, sans disputes, sans maladies, sans rien de faux et de mauvais dans le cœur. Tous ces gens d’Oursines, à commencer par la Catiche, se disait-il, ont plus d’argent qu’il ne leur en faudrait pour se bâtir de bonnes petites maisons, cultiver de gentils jardins, élever du bétail sain et propre ; mais la paresse les empêche de jouir de ce qu’ils ont, ils se laissent croupir dans l’ignominie. Ils sont comme’fiers du dégoût et du mépris qu’ils inspirent, ils se moquent des braves gens qui ont pitié d’eux, ils volent les vrais pauvres, ceux qui souffrent sans se plaindre. Ils se cachent pour compter leur argent et périssent de misère. Quelle folie triste et honteuse, et comme le pèi"e Vincent a raison de dire que le travail est ce qui garde et purifie le plaisir de vivre !

Une heure avant le jour, Emmi, qui s’était commandé à lui-même de ne pas dormir trop serré, s’éveilla et regarda autour de lui. La lune s’était levée tard et n’était pas couchée. Les oiseaux ne di-