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besoins de la société[1]. Les naturalistes s’efforcèrent ensuite de reconnaître les particularités de la vie des industrieux insectes ; ils n’eurent d’abord que peu de succès. Le véritable révélateur des mœurs des fourmis, Pierre-Huber de Genève, n’est venu qu’au commencement du siècle actuel. Le fils du célèbre historien des abeilles avait le génie de l’observation. Son œuvre est restée, bien près de l’heure présente, l’expression presque entière des notions acquises sur les actes des fourmis. Cent fois on vérifia l’exactitude des faits que Pierre Huber avait constatés sans obtenir de l’investigation de nouveaux résultats d’une certaine importance. Applaudissons, aujourd’hui un progrès notable est réalisé. Nos différentes fourmis indigènes n’avaient pas été suffisamment comparées ; on n’en avait point défini les caractères avec la rigueur qui importe à la science ; des auteurs s’étant contentés de désignations trop vagues, le fruit de plusieurs études de mœurs se trouvait perdu. Depuis une vingtaine d’années, les espèces européennes, au nombre de plus d’une centaine, ont été décrites d’une manière précise. les recherches sur les aptitudes particulières des espèces, longtemps comme interrompues, ont été reprises dans des conditions favorables ; de nouveaux chapitres sont venus s’ajouter à l’histoire des êtres qui comptent dans la création parmi les plus remarquables.

Présenter les résultats des études récentes sur les mœurs des fourmis est notre unique dessein ; les observations anciennes ont été rapportées dans une foule d’écrits, et tout le monde en garde un peu le souvenir[2]. Pour défendre notre récit de toute obscurité, il suffira de rappeler à grands traits les notions depuis longtemps répandues.

Fort nombreuses en espèces, les fourmis se ressemblent par les plus essentielles conditions de la vie, tout en ayant des habitudes assez différentes. Les plus communes dans nos bois bâtissent à la surface du sol de vastes demeures qui nécessitent une quantité prodigieuse de matériaux[3]. Au dehors, c’est un large dôme apparaissant comme un amas de morceaux de bois, de brins de chaume, de cailloux, de grains de blé ou d’avoiné ; à l’intérieur, c’est un formidable enchevêtrement de bûchettes à peu près d’égale dimension, disposées de façon à circonscrire des chambres et des avenues assez irrégulières, il est vrai, mais permettant néanmoins une circulation facile dans toutes les parties de l’édifice. Placés avec un art incroyable, les morceaux de bois se trouvent étayés les uns par

  1. Biblia Naturœ, par J. Swararaerctem, né à Amsterdam en 1637, mort en 1680. — L’ouvrage ne fut publié qu’en 1737.
  2. Voyez notre ouvrage intitulé Métamorphoses, mœurs et instincts des insectes, Paris 1868.
  3. Par exemple la fourmi rousse, Formica rufas.