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défenseurs et se chargent d’un nouveau butin. N’est-il pas clair que les fourmis guerrières vont à la recherche, d’après des indices plus ou moins vagues, comme nous le ferions nous-mêmes, qu’elles hésitent, se trompent ou réussissent, comme il arrive à tous ceux qui vont à la découverte ?

Dans une circonstance, les légionnaires que nous venons de suivre allèrent attaquer des fourmis brunes qui avaient des coques de mâles ; — celles-ci sont plus grosses que les cocons des ouvrières. Des bêtes stupides essayèrent d’emporter ces corps absolument inutiles dans leur société. Ne pouvant les saisir entre les mandibules, après de vains efforts, elles durent les abandonner. Assez fréquemment des amazones s’emparent de coques vides, de cadavres, et d’objets sans usage ; enfin elles commettent des erreurs. Parfois sur un nid, tout se prépare pour une expédition ; déjà les fourmis belliqueuses se mettent en marche, néanmoins beaucoup restent en arrière ; celles qui tenaient la tête de la colonne reviennent sur leurs pas, l’indécision semble au comble, évidemment le projet mal conçu n’aura pas de suite ; peu à peu les bêtes s’engouffrent dans leur souterrain, la journée est finie.

Pour esclaves, les amazones ne choisissent pas uniquement les fourmis brunes ; aussi volontiers elles prennent les fourmis barbe-rousse[1]. Celles-ci, également maçonnes ou plutôt mineuses, montrent en général à se défendre plus d’énergie que les autres ; mais elles ne sont pas moins toujours vaincues. Une après-midi, une immense horde de guerrières s’acheminait pleine d’assurance vers une grosse fourmilière : arrivée en vue du nid, elle s’arrête brusquement ; des émissaires se précipitent avec une rapidité vertigineuse sur les flancs et à l’arrière de la troupe afin de former une masse compacte. Les fourmis barbe-rousse se sont aperçues de la présence de l’ennemi ; en quelques secondes leur dôme, percé de plusieurs larges trous, se couvre d’une nuée de défenseurs. Les amazones, nullement intimidées, fondent sur le nid : la mêlée devient indescriptible ; cependant, malgré la lutte, des amazones pénètrent en foule par les ouvertures. Au même moment, on en voit sortir une multitude de fourmis barbe-rousse emportant des centaines de larves et de nymphes qu’elles veulent sauver. D’autre part, les assiégeantes ne se retirent qu’avec un cocon entre les mandibules ; satisfaites, elles ne songent qu’à déguerpir. Bientôt réunies en grosse masse, elles se dirigent vers leur habitation ; les fourmis barbe-rousse, les voyant fuir, se lancent à la poursuite. La scène est des plus curieuses. Telle amazone, saisie par les pattes,

  1. Formica rufibarbis. La même espèce porte dans divers ouvrages le nom de Formica cunicularia.