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à la tête ; aussitôt les bêtes atteintes se frottent dans la boue ou dans la poussière et se roulent comme en proie à des convulsions. Ainsi chaque type se distingue par une faculté spéciale ou par quelques traits de mœurs particuliers.


IV

Ce sont les fourmis d’Europe seules dont nous connaissons passablement aujourd’hui les conditions d’existence, les mœurs curieuses, les instincts remarquables, l’intelligence surprenante. Entre elles, il existe des différences extraordinaires ; comment donc ne pas songer aux espèces des autres parties du monde, que signalent des détails de conformation plus ou moins étranges ? Combien de particularités neuves, singulières ou charmantes découvrirait au milieu de ce monde un observateur patient et habile ! Dans les régions tropicales habitent en prodigieuse abondance des fourmis énormes qui rôdent sur les chemins, courent les bois, envahissent les maisons, mettent au pillage les denrées, marchent en grandes troupes ; bêtes fort incommodes, disent les voyageurs sans plus nous instruire. Bêtes incommodes en vérité, mais, ne l’oublions pas, bien industrieuses. M. Henry Walter Bates, un naturaliste anglais qui près de douze années séjourna dans la vallée de l’Amazone, a donné quelque attention à ces terribles fourmis abhorrées des indigènes ; il a observé des faits intéressans sur les habitudes de ces créatures, qui se livrent à d’immenses opérations[1]. Ce n’est, il est vrai, qu’un fragment d’histoire, car, le remarque justement l’explorateur des pays que baigne le grand fleuve de l’Amérique du Sud, il fallut qu’un homme plein de zèle et de talent consacrât presque sa vie à l’étude des fourmis communes dans son voisinage pour en connaître les mœurs et le tempérament. L’investigateur jeté dans une contrée lointaine, rarement sédentaire, toujours sollicité par mille sujets, travaillé du désir de voir une infinité de choses, peut-il donc poursuivre une recherche capable de l’attacher d’une manière à peu près exclusive ? Accueillons simplement ce qu’un naturaliste instruit nous apporte ; les notions fournies par M. Walter Bates conduiront de nouveaux voyageurs à surprendre ce qu’il laisse ignorer.

Toutes les personnes qui ont visité l’Amérique méridionale parlent de ces grandes fourmis qui semblent être toujours en expéditions. Réunies en nombre immense, elles arrivent à l’improviste, s’insinuent dans les maisons, dérobent les victuailles ou chassent les

  1. The Naturalist on the river Amazons, London, 2 vol. in-12, 1868.