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ajouter trop de confiance. De la manière la plus naturelle se présenta l’occasion d’éloigner de son esprit toute incertitude. Se trouvant dans un village indien sur la rivière Tapajos, il est éveillé en pleine nuit par un serviteur convaincu que les rats se sont établis dans des corbeilles de manioc gardées comme une précieuse réserve. Aussitôt debout, le naturaliste estime que le bruit ne vient nullement des rats ; avec une lumière, il pénètre dans le garde-manger, c’était une troupe d’oecodomes composée de plusieurs milliers d’individus. Les grosses fourmis couraient en divers sens ; déjà se sauvaient les bêtes portant entre les mandibules un énorme grain de manioc. Les paniers placés sur une table étaient occupés par des centaines de fourmis coupant les feuilles sèches servant d’enveloppes ; c’était l’opération qui produisait le bruit dont on s’était ému. L’envie d’exterminer un pareil monde était inévitable, on frappe avec rage, il y a nombre de bêtes écrasées, mais de nouvelles cohortes ne cessaient d’arriver ; le jour mit fin à la scène. La nuit suivante, la visite se renouvela ; on ne parvint à éloigner les saübas qu’en mettant le feu à de petites traînées de poudre de chasse. Quel usage peuvent donc faire les œcodomes de ces grains de manioc, substance horriblement dure ; auraient-elles un procédé pour les ramollir ? A cet égard on nous laisse encore dans l’ignorance aussi bien que sur le mode d’éducation des larves. Les mâles et les femelles, ayant une petite tête et de grandes ailes, sortent des nids pendant les mois de janvier et de février, au commencement de la saison pluvieuse. Ils se montrent au soir en quantité formidable et c’est fête pour les animaux insectivores, qui en font un terrible massacre. Quelques femelles échappent ; c’est assez pour perpétuer la race dans une effroyable proportion.

Des fourmis d’un tout autre type que les œcodomes et non moins singulières sont aussi très répandues dans l’Amérique méridionale ; les naturalistes les appellent les écitones. Longues, minces, avec une tête plate pourvue d’énormes mandibules tranchantes, de grandes pattes grêles, les écitones sont armées d’un aiguillon ; elles mordent et elles piquent. Bêtes carnassières, les écitones chassent en troupes innombrables, semant la terreur parmi tous les êtres. Dans les contrées que traverse le Haut-Amazone, les Indiens prennent d’infinies précautions pour les éviter quand ils s’engagent au milieu des bois. À Éga, dans le pays où le Teffé vient mêler ses eaux à celles du Solimoens, M. Walter Bates a observé dix espèces de ces fourmis féroces.

Une espèce qui n’est pas la plus commune, l’écitone légionnaire[1], se montre dans les endroits découverts, souvent sur les sables. Des

  1. Eciton legionis.