Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 11.djvu/831

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la séquence, ne se lisent pas, on les chante, et sans la parole, qui seule marque les temps, la mélodie serait insaisissable. Patience, de cet humble rôle de servante, la musique ne se contentera pas toujours ; elle a conscience de ses destinées, se sent elle-même un art, et nous allons la voir poursuivre une voie particulière, spéciale, et travailler, comme la statue grecque, à s’échapper enfin, libre et superbe, de ce bloc de granit, où le rite sacré la retient captive. A l’unisson liturgique se joignent bientôt d’autres parties, et des plus grossiers rudimens se dégage au XVIe siècle le contre-point. Désormais les contre-sujets, les imitations, les canons et la fugue enveloppent le thème principal de leurs mailles serrées et se déroulent en folles arabesques, laissant le texte devenir ce qu’il peut. Aux XVe et XVIe siècles, les Pays-Bas prennent la tête du mouvement ; alors le concile de Trente se fâche, et nous entendons s’élever sa voix contre cette musique profane, qui « sous ses ornemens étouffe les textes sacrés et n’en laisse plus percevoir une syllabe au milieu de toutes ces imitations, de ces fugues et de ces canons. » La musique surmonte le coup, cette forme de composition n’ayant pas encore dit son dernier mot ; de Palestrina et de son école, l’édifice auquel deux siècles ont travaillé reçoit son couronnement. Nous sommes en 1565, l’église accorde son adhésion officielle ; mais voici que bientôt Florence à son tour va protester contre l’art dominant, et cette fois la force de résistance fera défaut, car cet art monté à son faîte n’aspire déjà plus qu’à descendre. Imbue à fond d’hellénisme et de platonisme, la société florentine entend que la musique remonte puiser aux sources de la vie nouvelle, qu’elle ait, elle aussi, sa renaissance. C’est au nom des droits méconnus de la poésie que la lutte s’engage. Assez de jeux d’école, place à la poésie ! Retenons bien ce cri de guerre, nous le retrouverons plus tard en mainte occasion. Vincenzo Galilei s’élève contre les impertinences des contrepointistes. Giulio Caccini déclare (1600) que la musique régnante n’est qu’un misérable laceramento della poesia, et le comte Bardi, le Mécène de tous les dilettantes, connaisseurs, amateurs, réformateurs et musicastres de son temps, se demande dans un de ces conventicules platoniciens qui se tiennent en son palais a s’il n’est point aussi ridicule de voir la musique commander et la poésie obéir qu’il le serait de voir la maîtresse du logis se subordonner à sa servante ? » Il convient que la musique déclame, qu’elle se plie au drame ; la musique suit la parole, ses inflexions, ses mouvemens, ses contrastes et ses péroraisons. Saluons ici le chant solo avec basse chiffrée, et les premiers drames lyriques de Péri et de Caccini à Florence, d’Emilio del Cavalière et de Kapsberger à Rome, de Monteverde et de Marco Gagliano à Mantoue : déplorables ébauches où rien n’a survécu de cet art idéal d’un Palestrina, d’un Vittoria,