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cette ancienne vice-royauté ; elle a constitué de son côté au milieu de luttes violentes l’unité politique et légale de ses quatorze provinces, et consentirait aujourd’hui encore à sacrifier à la paix continentale des points extrêmes de son territoire en faveur du Paraguay au nord et du Chili au sud, faisant à ses voisins des avantages et restant elle-même appuyée sur des limites sûres et protectrices qui assureraient sa tranquillité ; mais, prise entre deux exigences qui semblent se liguer, elle ne saurait pour le moment faire de pareilles concessions sans immoler en même temps son amour-propre et sa dignité. C’est ainsi qu’elle s’est vue obligée à refuser l’arbitrage offert par le Chili en exécution du traité de 1856 tant que celui-ci n’aurait pas évacué les points de son territoire qu’il occupe indûment, et en particulier le Rio-Santa-Cruz, d’où il n’a pas craint d’expulser violemment des colons français régulièrement établis sur des territoires légalement concédés par la république argentine. De là des provocations, des attaques et des vexations réciproques aussi bien sur la frontière des Andes que sur la côte patagonique : le Chili, plus ardent que son adversaire dans cette voie dangereuse, est allé jusqu’à déclarer qu’il considérerait comme un casus belli la nomination au poste de ministre des relations extérieures de l’ex-ministre plénipotentiaire de cette république auprès du gouvernement chilien, M. Félix Prias, aussi bien que le fait de concéder quelque territoire que ce fût sur la côte patagonienne. De semblables provocations produisirent à Buenos-Ayres une excitation bien excusable, et le congrès national s’empressa de répondre par un vote d’enthousiasme, concédant 10 lieues de terres en Patagonie au premier qui se présenta pour solliciter cette concession ; le pouvoir exécutif de son côté offrit le portefeuille des relations extérieures à M. Félix Frias, qui le refusa pour des motifs étrangers à ce débat.

Les choses en sont là. La guerre cependant ne sera pas ouvertement déclarée entre les deux pays tant que la question brésilienne conservera une marche pacifique. Une guerre en effet entre le Chili et la république argentine paraît irréalisable ; ces deux états, d’une importance à peu près égale, sont trop éloignés l’un de l’autre, trop divisés par la nature, et pourraient lutter pendant de longues années non-seulement sans se détruire, mais même sans s’atteindre. Il est plus facile d’échanger à travers les Andes des phrases sonores et des provocations aussi éloquentes que fières que d’y engager des armées ; seule la guerre déclarée par le Brésil, et dont le premier effet serait le blocus de la Plata, permettrait au Chili de faire de la question de sa neutralité une question de territoire, et, en privant la république argentine de toute