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communication par la voie difficile des Andes, l’amener aux concessions désirées. Les regards doivent donc se porter du côté du cabinet de San-Christophe, où l’entrée récente du marquis de Caxias comme ministre de la guerre et du baron de Cotegipe comme ministre des affaires étrangères annonce une politique hostile aux républiques de la Plata, et la guerre comme remède à la crise esclavagiste.

Dans ces circonstances, de graves événemens paraissent prochains sur ce continent, et ceux qui, se fondant sur l’analogie des races qui le peuplent depuis l’équateur jusqu’au cap Horn, rêvaient l’établissement d’une grande république des États-Unis du Sud-Amérique, voient la réalisation de ce rêve s’éloigner et une guerre fratricide prête à reculer d’un demi-siècle le progrès du continent sud-américain en appelant sur la ville de Buenos-Ayres une partie des terribles épreuves que souffrait, il y a quelques années, le peuple paraguayen. Il dépend aujourd’hui de la sagesse des hommes d’état de sauver le pays de la situation critique où l’ont mis une alliance imprudente et le crime d’avoir écrasé un peuple voisin sans merci et sans humanité. Peut-être la république argentine aura-t-elle à payer par de longues douleurs ses fautes déjà anciennes ; elle aura du moins prouvé dans cette épreuve ce que vaut l’union créée au milieu de longues luttes intérieures, et à laquelle elle est aujourd’hui assez attachée pour que la ville de Buenos-Ayres, si longtemps tenue en dehors de la confédération, soit prête à s’immoler à l’intérêt général. C’est en effet à Buenos-Ayres que se fait la politique, c’est là que se débattent et se résolvent les questions ; mais, si Buenos-Ayres est la tête de la république, elle n’ignore pas que c’est à la tête que l’on frappera d’abord ; cependant jusqu’ici personne n’y a songé à faire passer avant la dignité de la république l’intérêt de la capitale. Cette résolution et cette union active désarmeront des ennemis qui ont compté sur quelques divisions intestines, et, ramenant les esprits à des concessions faciles à faire, qui n’engagent ni l’intérêt matériel, ni la dignité, ni même l’intérêt moral de ses états, rouvriront tous ces pays au travail et à la production, que ces menaces tiennent en suspens.


EMILE DAIREAUX.