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infatué de son importance, ne fut pas si prévoyant, bien que les colonies se fussent notablement accrues depuis vingt ans. Sur sa proposition, le parlement leur imposa un droit de timbre. Le parlement de la Grande-Bretagne avait-il le droit de voter des impôts sur les habitans d’une dépendance lointaine qui n’étaient pas représentés sur ses bancs ? En principe, l’alternative n’est pas douteuse aujourd’hui. Les colons de la Nouvelle-Angleterre ne le pouvaient dénier à moins de se déclarer tout à fait indépendans ; mais il y avait une question d’opportunité, de justice, que le projet de Grenville tranchait avec trop de précipitation. Après des débats auxquels l’attitude menaçante des colons donnait un intérêt majeur, la loi du timbre fut rapportée ; quelques mois plus tard, sous le ministère du duc de Grafton et de Pitt, tandis que celui-ci se tenait malade à l’écart, un autre chancelier de l’échiquier, Charles Townshend, fit voter des droits de douanes sur le thé et d’autres matières dans les ports de l’Amérique du Nord. Lord North maintint cet impôt malgré les réclamations des colonies, qui se traduisirent bientôt par des actes de rébellion. George III montrait en cette occasion l’entêtement dont il faisait preuve en toutes les affaires dont il daignait s’occuper. La guerre était donc déclarée entre la mère-patrie et ses enfans d’outre-mer, guerre fratricide où les forces paraissaient bien inégales, puisqu’il y avait d’un côté toutes les ressources d’une nation qui était alors en paix avec l’Europe, et de l’autre les milices inexpérimentées de colonies récentes qui, plus adonnées au travail qu’aux exercices militaires, n’avaient encore essayé leurs armes que contre les tribus indiennes.

A vrai dire, l’opinion publique était cette fois avec le roi et ses ministres. Les guerres que Pitt avait soutenues contre l’Espagne et la France, quelque glorieux qu’en eussent été les résultats, avaient laissé des charges qu’il fallait payer. La foule n’eût pas compris que les colonies fussent exemptes des dettes que l’on avait contractées en grande partie pour les défendre ; mais après quelques années, lorsque ces colonies eurent prouvé qu’elles étaient capables de soutenir la lutte, lorsque le congrès colonial, réuni à Philadelphie en juillet 1776, eut proclamé l’indépendance des treize états et que les esprits se furent tellement envenimés que la soumission n’était plus possible, il ne restait plus qu’à se demander lequel valait le mieux ou de continuer une guerre désastreuse à laquelle les autres puissances européennes allaient prendre part, ou bien de s’accommoder avec les rebelles. Lord Chatam ne sut pas prendre une résolution virile ; autant il désapprouvait cette guerre mal conduite et soutenue avec des efforts disproportionnés, autant il s’indignait à la seule idée de reconnaître l’indépendance des États-Unis