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de l’Amérique du Nord. On le sait, le dernier discours que ce grand homme d’état prononça devant la chambre des lords avait pour but de combattre une motion en faveur de la paix. Il ne pouvait se résigner au démembrement de la patrie qu’au temps de sa propre grandeur il avait faite si puissante. Cependant la raison, même le patriotisme, commandaient alors de mettre fin à une guerre aussi longue qu’inutile.

Il semble que Wilkes ait été l’un des premiers à le comprendre, par quoi il aurait fait preuve de perspicacité. Dès le début des hostilités, il engageait le gouvernement à ne pas pousser les colons à des mesures extrêmes, qui rendraient la réconciliation impossible. Si les comptes-rendus législatifs de l’époque sont authentiques, Burke et Fox, les grands orateurs de la fin du XVIIIe siècle, n’auraient jamais parlé d’une façon plus juste ou plus éloquente. « Lorsque la résistance est couronnée de succès, ce n’est plus une révolte, c’est une révolution, disait Wilkes aux membres des communes. Qui vous garantit, ajoutait-il, que, si les Américains réussissent à devenir indépendans, ils ne célébreront pas plus tard l’ère glorieuse de la révolution de 1775 comme nous célébrons celle de 1668 ? » D’année en année, à mesure que la lutte s’aggravait, il osait qualifier de grands patriotes les chefs de l’insurrection ; il avouait son admiration pour le peuple américain, ce peuple pieux et religieux, disait-il, qui observe avec ferveur le premier des commandemens divins : croissez et multipliez.

N’eût-il défendu que cette thèse avec une semblable vigueur Wilkes aurait déjà tenu dignement sa place dans la chambre des communes ; mais il montra dans d’autres circonstances encore que la multitude avait eu raison d’associer son nom à celui de la liberté dix ans auparavant[1]. D’abord il obtint que la chambre effacerait de ses registres la délibération inique en vertu de laquelle il avait été jadis expulsé et remplacé par le colonel Luttrell. C’était une victoire tardive dont tous les amis sincères de la constitution devaient se féliciter. Puis il entreprit de faire passer un bill sur la réforme électorale. Il échoua, ce n’est pas étonnant. William Pitt lui-même reproduisit un peu plus tard la même motion avec aussi peu de succès. Du reste, sur la fin du trop long ministère de lord North, l’opposition avait le beau rôle, on en conviendra. Rien ne réussissait de ce que le gouvernement avait entrepris. Outre que la guerre était malheureuse, l’Irlande s’agitait, une émeute

  1. On raconte qu’à l’époque où le parti de la cour était le plus irrité contre Wilkes, le prince de Galles, encore enfant, entra un jour dans le cabinet du roi en criant : « Vive Wilkes et la liberté. » C’était le mot d’ordre que proféraient toutes les bouches, que l’on écrivait sur tous les murs.