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l’on s’étonnera peut-être de l’étrange malentendu qui fait que certains représentans de l’école démocratique saluent avec enthousiasme, comme des victoires personnelles, les progrès d’une doctrine qui les ensevelira infailliblement dans son triomphe, eux, leurs idées les plus chères et les conquêtes de leur principe qui semblaient le mieux assurées.


I.

Je veux parler de la doctrine de l’évolution, qui envahit tout à l’heure qu’il est, la psychologie comme la physiologie, les sciences morales aussi bien que l’histoire naturelle, introduisant à sa suite une théorie qui lui est propre sur les rapports des hommes entre eux, sur les sociétés humaines, sur la loi du progrès qui règle leur développement, le but qu’elles doivent poursuivre, l’avenir qui les attend.

Quelles sont les origines historiques de la morale sociale? D’où procède-t-elle? Comment a-t-elle commencé d’après la doctrine de l’évolution? Plusieurs écrivains anglais et français ont traité directement ou incidemment cette question[1]; mais c’est toujours à M. Darwin qu’il faut recourir comme au promoteur de cet ordre nouveau d’idées. D’ailleurs ce savant écrivain se distingue de tous les autres par la franchise de sa méthode. Il aborde le problème moral exclusivement au point de vue de l’histoire naturelle. Dans le cours de ses études spéciales, il rencontre ce problème, le traite et le résout avec une sorte d’imperturbable candeur par ses procédés ordinaires. Ce n’est pour lui qu’une question comme une autre de physiologie comparée, se rattachant à cette question plus générale : « quelle lumière l’étude des animaux inférieurs peut-elle jeter sur les plus hautes facultés psychiques de l’homme? » Tel est l’objet de plusieurs chapitres du livre sur l’Origine de l’homme et la sélection sexuelle.

On sait que dans ce dernier ouvrage M. Darwin accepte résolument l’origine animale de l’homme et sa descendance de quelque type de singe anthropoïde. « C’est alors, dit-il en marquant sa place précise dans l’échelle des temps et des êtres, c’est alors que les simiadés se sont séparés en deux grands troncs, les singes du nouveau et ceux de l’ancien monde, et c’est de ces derniers qu’à une époque reculée a procédé l’homme, la merveille et la gloire de l’univers

  1. Consulter particulièrement les travaux de M. Huxley et sa polémique avec M. Mivart, — M. Herbert Spencer dans son livre Study of Sociology, traduit en français sous ce titre : Introduction à la science sociale; — en France, l’Origine de l’homme et des sociétés, par Mme Clémence Royer, et les publications très intéressantes de M. Léon Dumont sur l’Évolution.