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montrent au large, puis au dedans de l’île les animaux domestiques, tels qu’une petite race de chevaux sobres et sûrs, le mouton, le bœuf, le chien, le renne, enfin le renard polaire, l’ours maritime ou glacial, l’aigle pêcheur, le faucon de chasse[1], le courlis et le fameux eyder, on aura signalé, peu s’en faut, tout ce que la nature a donné à l’Islande pour y retenir la vie, tout ce qu’elle a offert de compensations à de trop réelles rigueurs pour y conserver ou même pour y attirer les hommes.

Cette terre étrange a eu, dans les siècles passés, une étrange histoire qui n’a rien de commun, il faut le dire, avec la présente condition du pays. Elle peut se vanter aujourd’hui, il est vrai, si nous comparons la situation actuelle à celle d’il y a cent ans, d’un progrès relatif. Le chiffre de la population, qui atteint 70,000 âmes environ, était tombé, vers le milieu du XVIIIe siècle, à 40,000, après une lamentable série d’éruptions volcaniques, d’épidémies, de famines, et par l’inévitable effet d’un désastreux monopole commercial. Le gouvernement danois a de nos jours triomphé de cette décadence par d’intelligentes mesures : la loi du 15 avril 1854 a entièrement affranchi le commerce islandais en l’ouvrant sans restrictions aux négocians de tous pays. L’Islande a obtenu tout ce qu’elle pouvait souhaiter de garanties pour son indépendance autonome ; la visite récente de Christian IX a de plus ranimé les sentimens de fidélité et d’attachement que l’île a toujours témoignés à l’égard de la dynastie et de la nation danoises. Le progrès des communications et celui des sciences paraissent devoir développer sur une vaste échelle les importantes ressources dont fut doté un sol moins ingrat qu’il ne semble. Déjà l’esprit d’entreprise s’est tourné vers la grande île du nord ; déjà il commence d’y amener les capitaux, il y ouvrira des routes, il exploitera ces minerais et multipliera ces richesses.

Quel que puisse être cependant l’attrait de pareilles perspectives, jamais sans doute l’Islande ne retrouvera d’aussi brillantes destinées que celles qui lui échurent du Xe à la fin du XIIIe siècle. Elle remplit alors un rôle dont nos livres ont le tort de ne pas parler, mais qui a sa place marquée dans l’histoire générale. Ce rôle, on peut le définir sans paradoxe en disant que l’Islande, république florissante pendant plus de trois cents ans, a été durant cette période une primitive étape pour certains élémens de la civilisation de l’Europe moderne. Quand la prédication du christianisme au Xe siècle envahit la péninsule scandinave, et qu’en même temps, dans chacun des états dont elle se composait, un mouvement de centralisation s’accomplit au profit de l’autorité royale, la société païenne et indépendante du nord,

  1. D’Islande venaient jadis les gerfauts que le roi de Danemark offrait chaque année, jusque sous Louis XVI, pour la fauconnerie des rois de France.