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en Islande les royautés féodales de Norvège; la saga de Nial va nous montrer cet organisme en pleine activité pendant une période ultérieure.

Cette chronique nous a été conservée en plusieurs manuscrits que possède aujourd’hui la bibliothèque de l’université de Copenhague. Le plus ancien de ces manuscrits paraît dater seulement, il est vrai, du XIIIe siècle ; mais plusieurs raisons permettent d’attribuer à la rédaction de la saga une date antérieure, probablement la fin du XIe siècle. D’abord le style en paraît être du même temps que celui de l’annaliste Are Frode, né en 1068 et mort en 1148. Puis plusieurs personnages qui vivaient, suivant Are Frode, à la fin du XIe siècle, sont cités dans la saga de Nial comme contemporains. Sæmund le Sage, un des rédacteurs de la nouvelle Edda, et qui vint étudier à l’université de Paris dans la seconde moitié de ce siècle, y est nommé; la généalogie de sa famille même y est donnée avec beaucoup de soin. A Sæmund toutefois s’arrêtent ces indications : la saga ne désigne ni son fils ni son petit-fils, devenus cependant, eux aussi, des personnages célèbres en Islande. Sæmund habitait, on le sait d’ailleurs, la région de l’île où se sont passés les événemens que la saga raconte; il descendait de quelques-uns des héros impliqués dans le récit. Toutes ces circonstances réunies paraissent autoriser la conjecture émise par Pierre Erasme Müller dans son excellente Bibliothèque des sagas, et suivant laquelle il faudrait attribuer la rédaction de la saga de Nial à Sæmund lui-même, né en 1056 et mort en 1133.

Rédigée vers la fin du XIe ou dans le premier tiers du XIIe siècle, la saga de Nial remonte d’un siècle encore dans le cours de ses récits. C’est ce qui arrive volontiers pour ces monumens d’une littérature primitive. L’écriture n’a été d’un usage fréquent et facile dans le nord qu’après l’introduction du christianisme, en l’an 1000 environ. Des clercs, des scribes érudits se mirent bientôt à rédiger pour la première fois ces traditions, ces légendes, ces lois que jusqu’alors les scaldes, les narrateurs populaires, les magistrats s’étaient transmises par la parole, le chant ou la récitation publique. Une telle origine n’est pas pour ces monumens d’histoire une cause d’inexactitude ni de mensonge. Dans les réunions en commun, à la fin des repas, à l’occasion des funérailles, chaque famille voulait qu’on rappelât la série des hauts faits par où ses principaux membres s’étaient distingués. Si la flatterie d’un scalde inclinait à trop dépasser les limites de la vérité, la présence de ses rivaux le contenait; chacun connaissait d’ordinaire, dans une société si peu nombreuse, outre les personnes, les circonstances et les lieux; peut-être ne se glissait-il de fictions que celles qui étaient de nature à être admises par la crédulité commune. Pour ce qui est