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l’école nouvelle pour combler toutes les lacunes, en consolidant les associations d’idées, en fortifiant les instincts, aura bientôt consacré cet ensemble de modifications successivement acquises, et transformé en obligation subjective l’obéissance aux désirs et aux jugemens de la communauté. A dater de cet instant, l’animal sera devenu un être moral.

Cette longue série d’hypothèses n’est pas autre chose, selon M. Darwin, que l’explication très probable du concept de la moralité. En suivant pas à pas cette évolution possible de l’instinct social dans l’animal, nous avons assisté à la création de la conscience dans l’humanité, à l’apparition de la justice, à la révélation du droit, qui n’a plus, on le voit, rien de mystique ni de transcendant. Comme l’animal hypothétique de M. Darwin, dont il a sans doute reproduit l’histoire dans la longue suite des siècles, l’homme est né animal sociable. Comme tel, il a une tendance (naturelle ou acquise, peu importe) à la fidélité envers ses semblables, avec une certaine aptitude à la discipline. Cet instinct revêt chez lui une forme très générale. On ne trouve pas en lui, comme chez l’abeille ou la fourmi, d’instincts spéciaux qui l’avertissent et le guident dans l’aide qu’il doit fournir aux membres de sa communauté. L’amitié et la sympathie qui l’attachent à la fortune de ses semblables peuvent bien lui révéler certains actes particuliers qui seront utiles à quelques-uns d’entre eux; mais elles sont impuissantes à le guider par de sûres impulsions vers la satisfaction des exigences de l’espèce. Cette règle des besoins de l’espèce n’a pu être que le résultat de l’expérience confié au langage, quand l’homme, animal muet jusqu’alors, par la croissance continue de ses facultés et le développement réciproque du cerveau, a franchi ce dernier pas et fait cette dernière conquête, gage et condition de tous ses développemens ultérieurs.

Voilà toute l’histoire de la faculté juridique dans l’espèce humaine. Elle ne fait que reproduire fidèlement la série des hypothèses précédentes : prédominance des instincts sociaux sur les autres, supériorité de ces instincts montrée et garantie par la permanence, comparaison qui s’institue entre deux instincts dont l’un, plus faible, a prévalu par une force momentanée, mécontentement de soi, malaise, regret ou remords selon l’importance de l’acte et l’énergie du sentiment froissé, application et emploi du langage à la formation de l’opinion publique, importance particulière attachée par l’homme à l’approbation de ses pareils. Ainsi se détermine une règle de conduite en conformité avec ce sentiment, ou mieux un ensemble de règles qui constituent précisément ce qu’on appelle la morale sociale, et qui s’imposent à chacun de nous par l’autorité de l’opinion commune, par l’énergie prédominante de l’instinct social,