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apercevoir derrière elle les montagnes de la Tarentaise ; elle était surmontée d’une sorte de gloire à rayons violets, dont l’un, aux dimensions colossales, s’inclinait en forme de panache du côté de l’Italie. La même apparition fut observée en 1844, le soir, par MM. Bravais, Martins et Lepileur, et en 1869, le matin, par M. Lortet, à peu près au point où nous nous trouvions. Tout d’abord, quand je l’aperçus, vers cinq heures et demie du matin, l’ombre me sembla plus haute que le Mont-Blanc. Les contours en étaient bien accusés, au point que l’on distinguait facilement les principales courbures de la montagne ; les Bosses-du-Dromadaire en particulier se dessinaient avec une netteté parfaite. Ce spectre immense est dû, comme ceux que l’on produit dans les théâtres, à la réflexion sur un miroir transparent qui est ici l’atmosphère elle-même. Il persista plus d’une heure, diminuant de hauteur à mesure que le soleil s’élevait au-dessus de l’horizon. L’auréole violette du sommet disparut aussi peu à peu ; le rayon formant panache du côté de l’Italie resta plus longtemps visible, puis s’effaça à son tour. Ces apparences lumineuses dont nous suivions ainsi les phases diverses s’expliquent d’ailleurs facilement. En effet, dans la projection du Mont-Blanc sur l’atmosphère, toute colonne gazeuse d’une autre densité que la masse d’air générale doit devenir visible sur l’écran aérien où elle est projetée, la différence de densité entraînant nécessairement une différence de pouvoir réfringent. Cette colonne présentera en outre une coloration spéciale, analogue aux premières teintes de l’aurore, et qu’il faut attribuer également à la nature de l’absorption exercée par le gaz sur la lumière du soleil.

Tout en admirant ce magnifique spectacle, nous continuons à monter la rude pente qui mène aux Rochers-Foudroyés. Là se trouvait échoué l’ascensionniste de la seconde caravane qui nous précédait ; il succombait à la fatigue, et son état de santé ne lui permettait qu’un très médiocre enthousiasme à la vue de l’ombre du Mont-Blanc et du Mont-Blanc lui-même. À partir des Rochers-Foudroyés commence ce vertigineux chemin de l’arête où pendant plus de deux heures on gravit des pentes de 45 à 50 degrés en suivant une crête large au plus de 30 centimètres, et souvent si tranchante que l’on n’a pour y poser le pied que les marches taillées sans cesse par le guide. Deux nappes de glace plongent à droite et à gauche, pour tomber l’une au Grand-Plateau, l’autre sur le glacier de Miage, dans la vallée de Montjoie, à une profondeur de plusieurs milliers de mètres. Nous franchissons les Bosses-du-Dromadaire (4,650 mètres), et, après un dernier effort, nous atteignons le sommet du Mont-Blanc (4,810 mètres). Il est huit heures du matin.

Dans l’immense panorama qui se déroule à nos pieds, nous dé-