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Le droit naturel ne peut avoir qu’un sens positif, scientifique : le droit tiré de la nature, ramené à la règle des choses, interprété par les seules lois qui existent, les lois naturelles, en dehors desquelles il n’y a que non-sens et chimères.

Ce sont elles qu’il faut uniquement consulter pour constituer la théorie positive des sociétés humaines et la science des rapports vrais qui doivent enchaîner l’action de chacun à la marche de l’ensemble. En d’autres termes, et pour emprunter le langage de l’école, la sociologie est dans une dépendance étroite de la biologie. Voici l’axiome dans lequel M. Herbert Spencer résume sur ce point les idées et les vues parfaitement concordantes des représentans de la doctrine : « Toutes les actions sociales étant déterminées par les actions des individus, et toutes les actions des individus étant réglées par les lois générales de la vie, l’interprétation rationnelle des actions sociales suppose la connaissance des lois de la vie[1]. » Qu’on ne vienne donc plus parler de l’absolu du concept moral, d’un devoir imprescriptible et d’un droit éternel. Comme il n’y a pas un règne humain distinct du règne animal, il n’y a pas un monde moral distinct de la nature. Le premier progrès à faire dans la science nouvelle, c’est de bien comprendre l’unité des lois qui règlent la vie à tous les degrés où elle se manifeste. Or la première de ces lois, c’est la relativité universelle, la transformation incessante, l’évolution, seul principe éternel dans le changement sans fin des formes et des êtres, des conditions dont dépendent les formes, et des milieux dont dépendent les êtres.

« La formation des sociétés étant déterminée par les attributs des individus, et ces attributs n’étant pas des constantes, » rien ne doit être plus variable que les règles qui déterminent les rapports des différens membres de la communauté soit entre eux, soit avec la communauté elle-même. Ainsi s’évanouit la chimère spiritualiste de l’homme universel, identique, constant a lui-même sous des variations superficielles, ayant dès les premiers âges sinon la même conscience en acte et développée, du moins la même conscience implicite et virtuelle, les mêmes facultés à des degrés différens, la même nature intellectuelle et morale, enveloppée comme dans un germe qui porte déjà toute l’histoire future de l’humanité. Rien de plus faux qu’une pareille conception. L’homme est devenu ce qu’il est, mais cela aurait pu ne pas être; un fait insignifiant en apparence changé dans sa laborieuse histoire, elle aurait pu changer du tout au tout; l’homme pouvait rester enchaîné à jamais dans les liens de l’animalité muette; une autre espèce aurait

  1. Introduction à la science sociale.