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traitaient jusqu’au moindre enfant nous frappèrent. Des glaces, des sorbets excellens, un vin de feu, nous attendaient à chaque ruine. Il n’en fallait pas moins pour nous soutenir. Un soleil terrible, une terre gercée par cinq mois torrides et que perçait seul un délicieux petit lis blanc double, un marais infect, autrefois desséché, dit-on, par Empédocle, mais qui, depuis la mort du grand ingénieur agrigentin, a repris tous ses droits à empester le pays, faisaient de cette journée la plus rude de toutes ; mais quel sublime spectacle ! Sept temples, dont cinq énormes, sont là gisant sur le sol: le diamètre des colonnes va à 3m, 32, et partout ces merveilleux chapiteaux doriques, la plus belle chose que l’homme ait jamais inventée ! Nulle part on ne saisit mieux qu’ici, pas à pas, les progrès de ces courbes divines arrivant à la perfection. Chaque essai, chaque tâtonnement est visible, et, chose plus extraordinaire que tout le reste ! quand les créateurs de cet art merveilleux eurent réalisé le parfait, ils n’y changèrent plus rien. Voilà le miracle que les Grecs seuls ont su faire : trouver l’idéal, et, une fois qu’on l’a trouvé, s’y tenir.

Ah ! pourquoi ces demi-dieux crurent-ils qu’il était de leur devoir de s’entre-dévorer ? Les ruines de Sélinonte font sous ce rapport l’impression la plus triste. Cette immense destruction, accomplie savamment et avec un dessein arrêté, fait sûrement maudire Carthage, qui amena sur ce monde délicat les sauvages mercenaires de l’Afrique ; mais elle fait surtout détester ces divisions de ville à ville, ces guerres fratricides où s’est abîmé le monde grec. La destruction de Sélinonte fut l’œuvre de Ségeste, et Ségeste, un an après, tombait à son tour. On comprend qu’après cela la paix romaine ait semblé un bienfait.

Ces ruines de Sélinonte sont dignes de la Grèce par la grandeur et la perfection du travail. La commission archéologique fut unanime pour demander au ministre que désormais le grand effort des fouilles siciliennes portât sur ce point. Déjà les recherches de M. Cavallari ont eu les plus heureux résultats, en particulier autour de l’acropole. Là ont été trouvées ces métopes célèbres qui font maintenant l’ornement du musée de Palerme, monumens d’un style archaïque, encore asiatique, et qui expliquent peut-être la transition tant cherchée entre l’art de l’Orient et celui de la Grèce. Les autres métopes de Sélinonte nous montrent pas à pas les progrès de la sculpture. Comme au moyen âge, ces progrès n’allèrent pas tout à fait de pair avec ceux de l’architecture. Celle-ci avait arrêté ses formes quand la sculpture hésitait encore. L’école dorique de Sicile se laissa devancer par l’école attique. Plusieurs de ces œuvres un peu gauches sont contemporaines du Parthénon. Un trait bien